Rédaction2023

Offensive azerbaïdjanaise et capitulation du Haut-Karabakh : quelle réaction de l’Union Européenne ?

Par Diane de Charry – 13/10/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Le 19 septembre dernier, le Haut-Karabakh, une enclave séparatiste à majorité arménienne située à l’intérieur du territoire de l’Azerbaïdjan, a été la cible d’une attaque soudaine menée par le gouvernement azerbaïdjanais dirigé par Ilham Aliyev. En moins de 24 heures de bombardements intensifs, le Haut-Karabakh a capitulé, marquant la chute de cette enclave et sa réintégration dans le territoire de l’Azerbaïdjan. Après plus de trois décennies de sécession et d’auto-proclamation en tant que République d’Artsakh en 1991, le Haut-Karabakh a mis fin à son existence. Le gouvernement de cette république séparatiste a annoncé, une semaine après l’attaque, soit le 28 septembre, la dissolution de ses institutions gouvernementales et organisations, effective à partir du 1er janvier 2024.

Réaction de l’Union Européenne face à ce conflit douloureux

Le conflit entre le Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan perdurait depuis plus de 30 ans, engendrant des tensions dans la région du Caucase. L’Union Européenne et la Russie avaient du mal à faire respecter les nombreux accords de cessez-le-feu précédents. La dernière offensive meurtrière menée par l’Azerbaïdjan remonte à septembre 2020, ayant conduit à un cessez-le-feu négocié grâce à la médiation russe et européenne. Les 27 États membres de l’UE s’efforçaient de parvenir à une solution, même si le conflit restait gelé, comme en témoignent les crises de mai 2021, les attaques de septembre 2022, le blocus du corridor de Latchine depuis décembre 2022, entravant les approvisionnements en gaz depuis l’Arménie et la libre circulation des habitants vers l’Arménie pour des besoins essentiels.

Face à ces multiples reprises du conflit, la France, en tant qu’amie historique de l’Arménie qui compte plus de 600 000 Arméniens sur son territoire, a exprimé son soutien. La France a annoncé son soutien militaire en fournissant des armes à l’Arménie afin de prévenir de futures offensives de l’Azerbaïdjan contre les territoires arméniens. De son côté, l’Allemagne a appelé à une aide internationale en augmentant l’aide humanitaire en faveur du Comité International de la Croix-Rouge intervenant dans la région du Haut-Karabakh, en envoyant des observateurs internationaux sur place pour montrer à l’Arménie et à la population du Haut-Karabakh qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation.

Ce soutien est suffisant ?

La situation actuelle dans le Caucase est une tragédie sur le plan moral et humanitaire. Après plus de 600 morts civils lors de l’attaque, plus de 100 000 personnes ont fui la région, craignant pour leur vie et leur sécurité. Le Haut-Karabakh comptait initialement 120 000 habitants, mais aujourd’hui, plus de 80 % de la population a quitté la région pour l’Arménie. Les réactions de la France et de l’Europe sont-elles à la hauteur de la gravité de la situation ? De nombreux élus français et européens ont évoqué la possibilité d’un « nettoyage ethnique », parmi lesquels Raphaël Glucksman (S&D) et l’eurodéputé François Xavier Bellamy (Les Républicains/PPE), qui ont critiqué l’absence de sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan. Ce dernier pointe également du doigt l’accord bilatéral signé en 2022 par la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, avec Ilham Aliyev, et demande à l’UE de rompre son contrat gazier avec l’Azerbaïdjan. L’Europe est divisée sur cette question, oscillant entre les intérêts économiques et la défense des droits de l’homme.

La controverse européenne

L’Union Européenne place au cœur de sa politique étrangère et de ses partenariats stratégiques les valeurs européennes, telles que le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits de l’homme, y compris ceux des minorités. Ces normes s’appliquent particulièrement dans le cadre de la politique européenne de voisinage systématique (PEV), dont fait partie l’Azerbaïdjan. Cependant, comme l’ont souligné à maintes reprises les élus européens, la situation sur le terrain constitue une violation flagrante du droit international. Le Parlement européen a donc adopté une résolution le 5 octobre, condamnant l’attaque de l’Azerbaïdjan et qualifiant la situation de nettoyage ethnique. L’UE a imposé des sanctions contre les fonctionnaires du gouvernement azerbaïdjanais responsables des violations du cessez-le-feu et des droits de l’homme dans le Haut-Karabakh. L’UE a également appelé la Turquie, qui a ouvertement soutenu la situation en saluant la « victoire » de l’Azerbaïdjan, à modérer son allié.

La dépendance de l’Union Européenne au gaz azerbaïdjanais repose sur un accord de 2022 visant à importer 20 milliards de mètres cubes de gaz chaque année d’ici 2027. Cet accord est toujours en vigueur, mais il est actuellement soumis à une réévaluation par l’Union Européenne, qui dépendra de la réponse de l’Azerbaïdjan aux préoccupations concernant les droits de l’homme. Charles Michel, président du Conseil Européen, a déclaré lors d’une interview : « Nous avons démontré la capacité de l’Union européenne à diversifier rapidement ses sources d’approvisionnement en énergie après le déclenchement de la guerre en Ukraine (…) nous disposons de nombreuses options pour l’accès à des ressources énergétiques. »

Malgré la signature officielle d’un cessez-le-feu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020, ce dernier a été violé à plusieurs reprises par le gouvernement azerbaïdjanais. Cela n’a pas empêché le renforcement des relations entre l’UE et Bakou en 2022, soulevant des questions sur le choix des partenaires stratégiques de l’Europe. Selon l’historien Vincent Duclert, des signes indéniables, tels que la « guerre de 44 jours » et la fermeture du corridor de Latchine, témoignent d’une volonté de purification ethnique. Il a fallu l’exode de 100 000 personnes pour que l’Europe envisage une réévaluation de ses relations avec le dictateur Ilham Aliyev.

La capitulation du Haut-Karabakh marque un tournant géopolitique significatif pour la région du Caucase, mettant en péril la sécurité et la souveraineté de l’Arménie, qui est géographiquement encerclée par la Turquie et l’Azerbaïdjan, deux pays se considérant mutuellement comme « une seule nation, deux États. »

Le Digital Act Service : une nouvelle révolution dans le domaine numérique européen ?

Par Émilie Decourcelle – 28/09/2023 – Cet article n’engage que son auteur : la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Entré en vigueur le vendredi 25 août 2023, le Digital Service Act (DSA) n’a pas fini de faire couler de l’encre. Nouveau volet attendu du Règlement général sur la protection des données, il a, lui aussi, l’intention de protéger les utilisateurs européens du web en se concentrant cette fois-ci sur la réglementation des contenus. Bien que sa mise en place ne concerne pour l’instant que  les entreprises de plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels sur le territoire européen, il sera étendu à partir du 17 février 2024 à toutes les plateformes accessibles via la toile européenne.

Les principales préoccupations du Digital Service Act : lutte contre les contenus illicites, régulation des algorithmes et protection des consommateurs

La première préoccupation du Digital Service Act demeure la lutte contre la propagation de contenus illicites. Propos haineux, fake news, harcèlement en ligne : les plateformes doivent dès à présent améliorer leurs systèmes de gestion et de prise en compte des signalements déposés par les utilisateurs, parties ou non au différend. Sa deuxième préoccupation concerne les systèmes de recommandation de contenus, plus couramment appelés les « algorithmes ». Jusqu’alors, les plateformes étaient autorisées à utiliser les informations personnelles – âge, origine, orientation sexuelle, emplacement géographique… – des utilisateurs pour présenter des publicités ciblées et établir un fil d’actualité interrogeant les principes de transparence et de libre arbitre. Elles devront désormais proposer un registre informatif expliquant pourquoi elles présentent tels contenus à l’utilisateur et lui permettre d’accéder à d’autres, situés en dehors de leur ciblage, plus facilement. Sa troisième préoccupation est relative à la protection des consommateurs et des entreprises via l’obligation de renseignements sur les vendeurs pour éviter les phénomènes de dropshipping et les arnaques. 

Le Comité européen des services numériques : un pilier clé de la conformité au Digital Service Act

Pour accompagner les plateformes dans leur mise en conformité au Digital Service Act, l’Union européenne a procédé à la création d’un comité européen des services numériques (CESN). Financé en partie par les entreprises, il apparaît comme un point de contact et de coopération réunissant 27 coordinateurs de niveau national. De pair avec le centre européen pour la transparence algorithmique mis en place en avril 2023, il s’occupera notamment du suivi des avancées des plateformes tout en proposant des outils et des expertises sur le sujet. De la reconnaissance des signaleurs de confiance à l’étude des désormais obligatoires audits sur les risques systémiques, le CESN a vocation à devenir la pierre angulaire des réglementations européennes en matière de numérique. En outre, le Digital Service Act introduit la possibilité de condamner les entreprises qui refuseraient de se soumettre aux nouvelles législations, essentiellement via des amendes, mais également via des procédures judiciaires pouvant aller jusqu’à leur suspension du web européen. Il est notable de souligner qu’une telle décision, pour les GAFAM, signifierait la perte de 30 % de leurs clients que représente le marché européen. 

Le Digital Service Act : une révolution législative pour l’Internet et la souveraineté européens

Projet ambitieux, le Digital Service Act s’attache ainsi à la responsabilisation des plateformes dont l’importance en termes d’influence sur la vie économique et démocratique est enfin reconnue. Longtemps oublié des espaces de discussions juridiques, le web a pu bénéficier d’un flou contraire à certains principes fondateurs de l’Union européenne. Par une réglementation stricte et contraignante, il s’agit avant tout de s’assurer que le droit européen soit également respecté sur Internet. D’un certain point de vue, le DSA ne fait que rendre illégal en ligne ce qui est déjà illégal hors ligne. Qualifié de « groundbreaking law » par le Guardian, il s’agit également pour l’Union européenne de rappeler au monde sa souveraineté et ses valeurs en luttant frontalement contre l’arbitraire de décisions d’entreprises privées, essentiellement états-uniennes ou chinoises. Elle se place de ce fait comme grande instigatrice de la codification de l’espace numérique, et acteur principal des enjeux grandissants autour des positions monopolistiques des géants du web. 

Un Act qui divise : entre régulation, innovation et liberté d’expression

Cependant, le Digital Service Act est loin de faire l’unanimité, aussi bien au sein des entreprises concernées que dans les milieux politiques et économiques. Plusieurs plateformes ont déjà choisi la voie de la CJUE pour contester leurs appartenances à la première vague d’obligations qui demeureront les plus contraignants sur le long terme. Par ailleurs, le DSA n’échappe pas aux critiques habituelles entourant toutes nouvelles réglementations européennes, notamment lorsqu’elles ont trait au domaine économique. Plusieurs observateurs le considèrent ainsi comme un agrégat de normes complexes, susceptibles de freiner l’innovation numérique au lieu de la soutenir. 

Et alors que certains voient en cet acte une solution pour lutter contre les contenus illicites en ligne, d’autres craignent qu’il ne devienne un outil de contrôle de l’information. Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur, s’est d’ailleurs vu obligé de déclarer qu’il était « tout sauf le ministère de la censure ». Mais, en préconisant des sanctions strictes pour les entreprises qui laisseraient publier des contenus interdits, il tend à faire basculer l’équilibre du côté de la régulation plutôt que de celui de la liberté d’expression. La complexité de cette tâche est par ailleurs exacerbée par le fait que le DSA devrait s’appliquer aux 27 pays membres de l’Union européenne. La question cruciale pour l’avenir est de savoir qui va et comment définir l’illégalité d’un contenu sur le web européen. 

L’ossétie du Sud, une bombe silencieuse dans le conflit russo-ukrainien

Par Alexandre Boue – 25/08/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Le mercredi 23 août 2023, un nouveau chapitre s’ouvre dans le conflit russo-ukrainien avec la relance du conflit géorgien. On doit cette relance au vice-président du Conseil de sécurité russe et ancien Président Dmitri Medvedev qui a déclaré “L’idée de rejoindre la Russie est toujours populaire en Abkhazie et en Ossétie du Sud”. Il ajoute “cela pourrait tout à fait être mis en œuvre s’il y a de bonnes raisons de le faire”. Ici faisant mention d’une potentielle annexion des territoires séparatistes de Géorgie par la Russie.

Pour rappel, la Géorgie avait perdu en 1992 certains de ses territoires, dont l’Ossétie du Sud qui s’était autoproclamée comme république indépendante suite à un conflit armé entre géorgiens et ossètes. L’Ossétie du Sud va proclamer son indépendance sur la base d’un référendum non reconnu par la communauté internationale. Elle va organiser un deuxième référendum où le oui va l’emporter et qui sera seulement reconnu par la Russie sans toutefois lui reconnaître son indépendance. Il faut attendre 2008, lorsqu’une offensive armée géorgienne est mise en place afin de reprendre le contrôle de la région séparatiste qui est soutenue par l’armée russe. L’offensive géorgienne est un échec et conduit la Russie à reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud. La Russie sera suivie par le Nicaragua, le Venezuela et les îles Nauru. Certains États comme la Biélorussie, la Serbie ou encore l’Équateur ont envisagé de reconnaître son indépendance sans néanmoins y donner un avis positif.

Finalement, l’intervention russe vient relancer le débat et surtout remettre de l’huile sur le feu dans la région qui est déjà très fortement perturbée par le conflit russo-ukrainien. Dans sa déclaration, le vice-président Dmitri Medvedev évoque ainsi une potentielle annexion du territoire de l’Ossétie du Sud par la Russie qui n’est pas sans rappeler l’ambition expansionniste de la Russie. En effet, si le pays a été poussé par la volonté de rebâtir la Grande Russie de l’ancien temps, l’annexion de l’Ossétie du Sud pourrait parfaitement répondre à cette ambition, car pour rappel, c’est une région qui faisait partie bien évidemment de l’ancienne URSS. Attention cependant, cette annexion ne serait pas seulement motivée par une ambition historique, mais aussi par l’attitude de la Géorgie qui se rapproche de l’OTAN. 

En effet, en relançant les discussions d’une potentielle adhésion de la Géorgie au sein de l’OTAN, la Russie voit l’influence américaine dangereusement se rapprocher. Situation rappelant les évènements et les réactions durant la guerre froide. Les occidentaux ne sont pas les seuls responsables, car les dirigeants géorgiens ont réaffirmé leur volonté d’intégrer l’alliance dans le but de protéger l’intégrité de son pays. Finalement, avec cette déclaration ambiguë, la Russie, à travers Dmitri Medvedev ne fait que confirmer les craintes de la Géorgie et sa volonté de se rapprocher de l’ouest. 

La doctorante en sciences politiques Ana Andguladze appuie le propos en déclarant que la Géorgie est “connue pour sa forte et constante aspiration européenne.” Elle soutient son propos avec l’intervention de la guerre en Ukraine où les observateurs ont pu remarquer que la position géorgienne entre Moscou et l’UE était bien difficile à tenir. Si la Géorgie a lancé sa candidature en 2022 pour rejoindre l’UE, la position de son gouvernement face au conflit russo-ukrainien et sa politique d’apaisement envers Moscou amplifie les critiques à son encontre. Toutefois, il est important de noter que la population géorgienne sera quant à elle acquise à la cause ukrainienne, comprenant aussi l’influence que peut avoir la Russie et les inquiétudes qu’elle peut susciter dans la région. 

Si l’absence de réponse de la part des pays occidentaux pouvait être déconcertante, voire critiquable, cela n’est pas le cas de tous les pays occidentaux, car la Belgique et son ministre des Affaires étrangères qui était présent à la frontière avec l’Ossétie du Sud au moment de la déclaration russe, elle a déclaré qu’il y avait dans la région : “ un conflit gelé qui dure depuis trop longtemps, avec des populations qui souffrent et des défis climatiques ou énergétiques qui sont à l’arrêt à cause de ces guerres et des obstacles mis par les puissances avoisinantes, principalement la Russie.” Le ministre a rappelé aussi que les populations aspirent à une paix, un respect de leur intégrité et la protection de leurs valeurs or c’est parfaitement ce que défend l’UE selon cette même ministre. 

En conclusion, la portée de cette déclaration est encore difficile à cerner, mais ce qui est certain, c’est la relance du conflit russo-géorgien s’inscrivant de manière globale dans le conflit ukrainien. Cette relance pourrait laisser entendre de la volonté de la Russie de déstabiliser la région et surtout de petit à petit reconstruire son empire historique. Avec cette déclaration, la Russie ne cache pas ses intentions politiques et ne laisse pas présager d’un apaisement dans le conflit.

https://www.latribune.fr/economie/international/moscou-pourrait-annexer-les-regions-separatistes-de-georgie-973568.html

https://www.lopinion.fr/international/russie-vers-une-annexion-des-regions-separatistes-georgiennes

https://www.sudinfo.be/id701044/article/2023-08-23/en-georgie-la-ministre-belge-des-affaires-etrangeres-hadja-lahbib-se-rend-sur-la

https://www.courrierinternational.com/article/geopolitique-quinze-ans-apres-la-guerre-russo-georgienne-dmitri-medvedev-evoque-une-possible-annexion-de-l-ossetie-du-sud

https://www.france24.com/fr/europe/20220531-l-oss%C3%A9tie-du-sud-renonce-%C3%A0-organiser-un-r%C3%A9f%C3%A9rendum-d-int%C3%A9gration-%C3%A0-la-russie

Élections parlementaires de 2024 et Eurobaromètres : quels défis pour l’Union européenne ?

Par Simulation du Conseil de l'Union européenne / 18 août 2023

Par Émilie Decourcelle – 18/08/2023 – Cet article n’engage que son auteur : la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Début 2023, la neuvième édition des « tendances sociodémographiques de l’opinion publique nationale » a été publiée sur le site du Parlement européen. S’étalant de 2007 à 2022, cet « Eurobaromètre » a été créé en 1973 pour sonder l’opinion publique des citoyens européens et leurs rapports aux institutions européennes. Depuis lors, chaque année et dans chaque pays de l’Union européenne, un peu plus de 1000 personnes âgées de plus de 15 ans sont interrogées sur l’image, le rôle et la confiance qu’elles accordent à l’organisation. Ainsi, à la fin 2022, 62% des sondés considèrent l’adhésion de leur pays à l’Union européenne comme une « bonne chose » et 72% estiment que leur pays a bénéficié de son appartenance à l’UE, notamment en ce qui concerne des sujets comme la paix et la sécurité (36%) ou la coopération internationale (35%) ou la croissance économique (30%). 

Rawf8 – stock.adobe.com

Évolution des Attitudes envers l’Union Européenne et les Défis à Venir

Deux dynamiques sont notables : la progression des résultats en faveur de l’Union – passant par exemple de 30% à 47% pour la question de prise en compte des citoyens au sein des institutions – surtout chez les plus jeunes – à l’instar des 72% des 15-24 ans belges satisfaits de la démocratie européenne contre 53% des plus de 55 ans. À moins d’un an des dixièmes élections européennes, ces résultats n’ont rien d’anodin. Le scrutin européen n’a jamais été le plus suivi. Toutefois, en 2019, un regain d’intérêt avait pu être observé avec une participation atteignant 50,7 % (plus 8 points par rapport à 2014). Au printemps 2023, 67% des sondés indiquent qu’ils iraient probablement voter si elles avaient lieu la semaine prochaine. Les élections européennes de 2024 pourraient donc connaître une nette augmentation de participation.

Pourtant, les années 2010 marquent l’institutionnalisation des extrêmes droites au sein des espaces politiques des États membres. Et, traditionnellement, ces idéologies défendent un nationalisme protectionniste contraire à l’idée même de construction européenne. D’après une étude menée en 2018 par Lewis Dijkstra, Hugo Poelman et Andres Rodriguez-Pose, les votes pour les partis modérément opposés à l’intégration européenne au sein de l’UE ont connu une véritable croissance, passant de 15% en 2000 à 26% en 2018, tout comme ceux pour les partis radicalement opposés passant eux de 10 à 18% sur la même période.

Changements dans les Positions Politiques envers l’Union Européenne : Entre Réalités du Pouvoir et Pertinence Émergente

Néanmoins, si la tendance est inquiétante, il semblerait que l’opposition à l’Union européenne des partis ultra-conservateurs soit atténuée lorsqu’ils accèdent aux postes de pouvoir. Ainsi, depuis son élection, Georgia Meloni, une grande défenseuse des intérêts italiens, est devenue beaucoup moins véhémente vis-à-vis de l’institution, qui a notamment permis la relance rapide de l’économie italienne post-covid. En outre, l’importance de l’organisation européenne a été particulièrement soulignée par les difficultés engendrées au Royaume-Uni par le Brexit. Jamais le pays n’a connu d’aussi importantes pénuries et instabilités tant politiques que diplomatiques. L’Union européenne apparaît d’autant plus pertinente sur des sujets comme l’environnement, l’économie ou les droits humains, lesquels nécessitent des actions à l’échelle internationale. Et dans un contexte de plus en plus critique et méfiant à l’égard des gouvernements nationaux européens, le « triangle institutionnel » européen pourrait bien être celui faisant renouer les citoyens à leurs politiques. En moyenne, 52% des interrogés de l’Eurobaromètre fin 2022 ont confiance en le Parlement européen, contre 34% en leur parlement national. 

Renforcer la Démocratie Européenne : Défis de Connexion et d’Engagement Citoyen

Cependant, avant de pouvoir jouer ce rôle, les institutions européennes doivent parvenir à se démocratiser davantage. Souffrant encore d’une large méconnaissance, elles peinent à susciter l’intérêt et la participation aux prises de décisions des citoyens européens, conduisant parfois à une totale déconnexion des enjeux les touchant réellement. Si, en 2022, 71% des sondés de l’Eurobaromètre considèrent que l’Union européenne influence leur vie quotidienne, seulement 54% sont satisfaits de la manière dont la démocratie fonctionne en son sein. Si la méfiance des citoyens européens ne signifie pas leur désengagement politique, en témoigne l’apparition de nouvelles formes de participation politique – en dehors des institutions (manifestations, boycott, occupations…) -, ceux qui se sentent « laissés pour compte » sont souvent les mêmes qui votent aux extrêmes, et s’opposent à l’intégration européenne.  

Mais, comment faire éclater la « bulle européenne » sans la fragiliser ? 

De nombreuses propositions peuvent être envisagées, d’autant plus que 64% des 27 000 interrogés de l’Eurobaromètre du printemps 2023 sont optimistes vis-à-vis du futur de l’Union européenne. Parmi elles, il y aurait la simplification de la compréhension du fonctionnement des institutions européennes – de leurs processus décisionnels à leurs impacts sur la vie des citoyens européens -, ou encore le ravivement du débat citoyen sur les enjeux européens via des initiatives comme les référendums, les conventions citoyennes, les enquêtes publiques, les pétitions… Les deux tendraient au développement d’un sentiment d’appartenance et de reconnaissance qui pourraient réconcilier représentants et représentés européens. À moins d’un an de la nouvelle échéance électorale, les portes restent grandes ouvertes pour que l’Union européenne se renouvelle et renforce sa popularité intérieure comme son rayonnement extérieur. Toutefois, l’approche des élections européennes de 2024 fait river les yeux sur le groupe « Identité et démocratie » situé à l’extrême droite de l’échiquier politique et ouvertement eurosceptique. Neuf nouveaux élus sont déjà prévus par le Poll of Polls de Politico, réunissant les sondages et enquêtes d’opinion réalisés un peu partout dans l’espace européen. Les portes sont donc aussi ouvertes à l’amplification de l’euroscepticisme au sein même des institutions européennes. Dix mois sont laissés aux candidats pour convaincre les citoyens européens que l’Union européenne n’a pas dits son dernier mot, et peut devenir une force d’opposition à la montée de l’ultra conservatisme.

Parlement européen 

https://www.europarl.europa.eu/at-your-service/fr/be-heard/eurobarometer

Voxeurop

https://voxeurop.eu/fr/de-la-mefiance-envers-les-institutions-a-une-montee-de-la-citoyennete-critique/

Toute l’Europe

https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-institutions-europeennes/

https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/elections-europeennes-2024-ce-qu-il-faut-savoir-a-un-an-du-vote/

https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/le-populisme-en-europe/

France 24

https://www.france24.com/fr/europe/20220926-victoire-de-giorgia-meloni-en-italie-une-nouvelle-claque-pour-l-ue

Lewis Dijkstra, Hugo Poelman et Andres Rodriguez-Pose, The Geography of EU Discontent, CEPR Discussion Paper, No. DP14040, 17 octobre 2019, URL : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3471234 

Politico 

https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/european-parliament-elections-2019/

Loi sur la restauration de la nature, une nécessité qui divise en Europe ?

Par Simulation du Conseil de l'Union européenne / 18 août 2023

Par Diane de Charry – 11/08/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Confrontée par une situation environnementale alarmante, l’Union Européenne réagit en adoptant le 12 juillet dernier un projet de loi sur la restauration de la nature et des écosystèmes. Ce projet, initialement proposé par Bruxelles à la mi-2022, s’inscrit au cœur du Pacte Vert Européen, visant une Union Européenne climatique neutre et durable. Pourtant ses controverses ne sont pas sans précédents, provocant un débat animé au sein du Parlement.

Crédit : Occitanie Europe

C’est dans un contexte écologique européen critique, que cette loi a été votée. En effet, 80% des habitats naturels sont en mauvais état, les zones humides ayant diminué de moitié depuis 1970 selon le rapport de 2018 de l’Agence Européenne pour l’Environnement sur l’état de la nature dans l’U.E. De plus, l’Europe fait face à une détérioration significative de ses terres de culture, 70% de ses sols sont érodés, contribuant ainsi à des pertes de productivité agricole importantes (équivalentes à 1,25 milliard d’euros / an au sein de l’U.E). C’est pourquoi la loi vise à restaurer les écosystèmes dégradés dans un objectif de résilience sur le long terme aux effets du dérèglement climatique, s’inscrivant ainsi dans la lignée des objectifs 2030 de la COP15 qui a eu lieu en décembre dernier à Montréal.

Une loi aux objectifs ambitieux 

La restauration des écosystèmes étant un processus destiné à réintégrer la nature et la biodiversité dans notre environnement, qu’il soit urbain ou rural, cette loi vise plus précisément à restaurer au moins 20% des zones terrestres et marines dégradées à l’horizon de 2030, et 100% avant 2050. De plus, afin de réduire les risques pour la sécurité alimentaire en Europe, menacée depuis le début de la guerre en Ukraine, les États devront présenter un plan national de restauration, laissant aux gouvernements l’examen de la biodiversité sur leur territoire et des moyens de subsistance, notamment pour les agriculteurs. Dans le but de mettre en place la règlementation, un budget de 100 milliards d’euros sera mis à disposition pour investir dans la restauration de la nature avec la réduction de pesticides chimiques de moitié d’ici 2030, respectant le programme « de la ferme à la table ».

Ce budget permettra également d’assurer une compensation auprès des agriculteurs sur une période de 5 ans, ainsi que l’instauration d’au minimum 10% d’espace couverts par des arbres dans chaque ville. Les réglementations de cette loi, une fois définitivement adoptées, auront une force juridique contraignante pour les États. Ce point a suscité un débat important au sein du Parlement Européen, ce qui a retardé à plusieurs reprises l’adoption du projet de loi.

Le Parlement Européen divisé face à un enjeu crucial

À Bruxelles, les députés européens ont longuement été divisés sur la question de l’adoption du projet de loi, comme l’en atteste les résultats du vote : 336 voix pour, 300 voix contre et 13 abstentions. Les partis de gauche, fervent défenseurs de la nature, s’opposaient aux
partis de centre droite et droite, qui rejetaient la globalité du texte, en particulier le Parti Populaire Européen (PPE), qui a mené une campagne contre l’adoption de ce texte sur différentes plateformes de réseaux sociaux.

Pour ces derniers, le texte menace les moyens de subsistance des agriculteurs, retire des terres agricoles de la production à cause de la restauration d’un grand nombre de zones, ce qui menacerait de ce fait la sécurité alimentaire. La députée du PPE Anne Sander affirme : « Restaurer la nature ne doit pas signer l’arrêt de mort de toute production économique, industrielle, forestière et agricole en Europe ». Le débat s’anime ainsi autour de la défense des intérêts économiques de l’Union Européenne du côté de la droite européenne, pour laquelle la production doit persister afin d’assurer la sécurité alimentaire et de représenter les droits des agriculteurs.

En revanche les défenseurs du texte ainsi que les scientifiques assurent que l’adoption du projet de loi est une victoire sur le court et le long terme pour les écologistes et les agriculteurs. En effet, le texte favorise les intérêts de la production agricole de l’Union Européenne. La restauration naturelle est alors plus bénéfique que le coût de la dégradation annuelle, selon l’analyse des coûts et avantages économiques de Bruxelles, chaque euro dépensé pour la restauration apporte un bénéfice compris entre 8 et 38 euros. Elle accroît donc la productivité agricole et la résilience du système alimentaire. Finalement la restauration de la nature permet d’assurer la continuité de la production économique, comme l’a affirmé de nombreuses fois la Commission Européenne réfutant ainsi les informations avancées par les opposants du texte et permettant une certaine cohabitation entre restauration de la nature et bien être agricole.

Enfin, cette loi présente une avancée pour l’Union Européenne lui permettant de prendre les devants sur la scène internationale pour suivre la lignée des objectifs mondiaux des différentes conférences pour la défense de la biodiversité et de l’environnement, telles que
la COP15 ou encore la COP26.

https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20230707IPR02433/restauration-de-la-nature-le-pe-prend-position-pour-negocier-avec-le-conseil

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_3746

https://www.courrierinternational.com/article/environnement-le-parlement-europeen-sauve-la-loi-sur-la-restauration-de-la-nature

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_22_3747

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/fs_22_3748

https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/07/12/projet-de-loi-sur-la-restauration-de-la-nature-journee-decisive-au-parlement-europeen_6181601_3244.html

https://fr.euronews.com/my-europe/2023/07/12/la-loi-sur-la-restauration-de-la-nature-survit-a-un-vote-a-couteaux-tires-au-parlement-eur

L’affaire de la nomination de Fiona Scott Morton qui bouleversa les vacances estivales des institutions européennes. 

Par Simulation du Conseil de l'Union européenne / 18 août 2023

Par Alexandre Boue – 11/08/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Le 11 juillet 2023, la vice-présidente exécutive de la Commission européenne Margrethe Vestager annonce son soutien à la nomination de Fiona Scott Morton au poste d’économiste en chef à la Direction générale de la concurrence au sein de la Commission européenne. Si ce poste semble être crucial vis -à -vis de la relation avec les GAFAM et implicitement les États-Unis, alors la nomination d’une spécialiste dans les domaines de la concurrence, de la régulation et des technologies devrait rassurer les dirigeants politiques. Or, à défaut d’avoir suscité un avis positif unanime, cette nomination a provoqué de vives critiques de la part d’eurodéputés et de certains États membres. 

Crédit : BBC News

Les premières critiques soulignent la nationalité de la candidate. En effet, Fiona Scott Morton est américaine, ce qui est problématique pour certains États membres qui craignent une connivence marquée avec les États Unies, voire une certaine forme d’ingérence dans les affaires de l’Union Européenne. La question de la nationalité de Mme Morton ne suscite pas la polémique dans tous les pays européens et surtout en France avec la réaction du Président français Emmanuel Macron qui souligne être “dubitatif”  vis-à-vis de cette nomination. Nos amis outre-Rhin y verraient une certaine forme d’anti-américanisme culturel et n’y tiendraient aucune importance. 

Toutefois, laissons de côté le point de vue de la nationalité qui reste minime et penchons-nous sur le point de discorde majeur, à savoir la question des conflits d’intérêts. Il est important de préciser que durant sa carrière professionnelle, Mme Morton a travaillé pour certains grands groupes technologiques comme Amazon, Apple ou encore Microsoft. 
Par conséquent, pour certains eurodéputés, nommer une “ancienne lobbyiste américaine au service des GAFAM” au poste stratégique d’économiste en chef au sein de la direction générale de la concurrence n’est pas un choix idéal pour l’UE. Certains soulèvent même un certain aveuglement de la part des élites américaines sur la possibilité de conflits d’intérêts et surtout de loyauté de la part de Mme Morton vis-à -vis de l’UE. 

Cette nomination est elle donc une hérésie ou doit-on dépasser ces barrières pour décider à partir du seul véritable critère, à savoir les compétences techniques. Dans son travail, Mme Morton est reconnue par son expertise sur des questions de régulations et de concurrence et défend l’idée d’une concurrence saine au profit de l’innovation et du progrès économique.

Si Mme Morton a effectivement travaillé pour certains groupes faisant partie des GAFAM, il est indispensable de garder en tête sa volonté de toujours défendre la concurrence et la régulation appropriée. De plus, avec ses différents travaux en la matière, l’expertise et les compétences de Mme Morton ne sont plus à être justifiées, car la connaissance accrue des dossiers pourrait bien lui conférer une technicité bien supérieure aux experts européens. 

Enfin, il paraît assez injuste de mettre en cause l’impartialité de Mme Morton uniquement parce qu’elle a travaillé par le passé pour des entreprises du numérique, surtout lorsque ledit travail est un rôle consultatif sans pouvoir décisionnel. Pour marquer la position de Mme Morton dans le domaine de la concurrence, quoi de mieux que sa position en faveur de l’adoption du Digital Market Act ou la régulation européenne des grandes plateformes du numérique afin de mieux protéger les consommateurs. Comme fervent défenseur des GAFAM, on a mieux connu.

Cependant, ce grand débat autour de la nomination de Mme Morton relève déjà du passé puisqu’elle a annoncé refuser sa nomination, provoquant selon certain un gigantesque but contre son camp pour l’UE. En effet, la plus grosse crainte des GAFAM était de voir une experte en matière de concurrence et de régulation liée au numérique être nommée à un poste clé au sein de l’UE et de plus une experte ayant fait partie “de la maison”. Qui peut connaître le mieux son ennemi si ce n’est un ancien proche ? 

Alors la question qui se pose maintenant est de savoir si l’UE a effectivement raté sa chance d’avoir une femme compétente dans le domaine crucial du numérique ou si la souveraineté et l’honneur des institutions de l’UE demeurent intactes. 

L’Express

https://www.lexpress.fr/monde/ue-fiona-scott-morton-renonce-a-prendre-son-poste-CKTR4X5AZNEUZLJKQDBSXEWWCU/

Challenges

https://www.challenges.fr/idees/fiona-scott-morton-la-meritocratie-eclipsee-par-la-controverse_862703

Le Monde

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/18/affaire-fiona-scott-morton-la-defense-en-semi-verites-de-magrethe-vestager-ne-convainc-pas_6182538_3210.html

Le Point

https://www.lepoint.fr/monde/affaire-fiona-scott-morton-l-americaine-qui-divise-l-europe-17-07-2023-2528553_24.php

Marianne

https://www.marianne.net/agora/humeurs/affaire-fiona-scott-morton-un-sursaut-europeen-pour-contrebalancer-linfluence-americaine

Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/international/fiona-scott-morton-la-nomination-avortee-qui-fragilise-l-europe-20230719

Tagesschau

https://www.tagesschau.de/wirtschaft/weltwirtschaft/eu-chefoekonomin-personalie-100.html

https://www.tagesschau.de/ausland/europa/eu-scott-morton-100.html

La gouvernance des migrations en Europe : les défis de la coordination entre les acteurs nationaux et européens

Par Emmy Frédérique – 16/03/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Depuis quelques années, l’Europe est confrontée à une crise migratoire sans précédent, qui a débuté en 2015 avec l’arrivée d’un million de réfugiés sur les côtes européennes fuyant la guerre en Syrie. Depuis, l’Union européenne et ses voisins de l’Est et du Sud ont été confrontés à un débat complexe, à la fois humanitaire et politique. De nombreux facteurs déclenchent le départ des réfugiés pour un avenir meilleur : les conflits armés, les persécutions politiques et religieuses, la pauvreté et le changement climatique entre autres. 

Malgré l’atrocité de ces problématiques, certains pays, comme la Biélorussie, instrumentalisent l’enjeu migratoire à des fins politiques. À la suite des élections controversées du président Alexandre Loukachenko en août 2020, la situation politique dans le pays est critique. Dès lors, d’importantes manifestations éclatent, dénonçant les élections frauduleuses, qui sont très vite réprimées par le gouvernement, lequel n’hésite pas à bafouer les droits humains. En août 2021, l’afflux de migrants en provenance d’Irak, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord vers la Biélorussie profite au gouvernement. Les autorités encouragent la traversée illégale en direction de l’Union européenne. Cette situation suscite énormément de tensions au sein de l’Union européenne, alors même que celle-ci a du mal à présenter un front commun sur l’enjeu migratoire. 

L’Union européenne est au cœur d’une crise migratoire accentuée récemment par le conflit ukrainien et par la Biélorussie. L’arrivée en masse de migrants n’est pas le fruit du hasard. L’enjeu migratoire est trop souvent instrumentalisé à des fins politiques. Tout comme la Turquie l’avait fait il y a quelques années pour faire pression sur l’Union européenne, aujourd’hui c’est au tour de la Russie et de la Biélorussie d’user de se levier de pression sur l’UE. Connue de tous, la crise migratoire est un enjeux complexe au sein de l’Union européenne. L’objectif de la Russie et de la Biélorussie est alors de fragiliser l’unité européenne. Afin de contrer l’exploitation des migrants par des pays voisins comme la Biélorussie, l’Union européenne a décidé de rallonger les délais de traitement des demandes de migrants, au risque de violer leurs droits. Les demandes ne pourront être déposées que dans des points de passage frontaliers officiels. Bien sûr, l’Union européenne a mis en place de nombreuses sanctions contre la Biélorussie, notamment l’interdiction de survol de l’espace aérien et l’accès aux aéroports européens. D’autres sanctions économiques ont été prises à l’encontre de la Russie dans le cadre du conflit ukrainien. 

Afin de résoudre plus largement la crise migratoire qui sévit depuis 2015, les États membres de l’Union européenne redoublent d’effort afin de garantir « une politique migratoire efficace, humanitaire et sûre » (Conseil de l’Union européenne). Le conseil européen permet d’établir les lignes d’action et fournit les mandats pour négocier avec les pays tiers. On peut compter aujourd’hui cinq routes migratoires qui mènent à l’Europe : Le méditerranée oriental comptant la Grèce, Chypre et la Bulgarie, la méditerranée occidentale passant par l’Espagne, les routes de l’Afrique occidentale avec les îles canaries, la méditerranée centrale par l’Italie et Malte et enfin les routes des Balkans occidentaux.  

En réponse à l’afflux de plus en plus important de migrants avec une augmentation de 33% chaque année, l’Union européenne a récemment proposé « un pacte européen sur l’asile et la migration » en novembre 2022. Il fait suite à 21 mois de négociation entre les différents ministres de l’intérieur des États membres de l’UE. Ce pacte permet avant tout d’homogénéiser la charge de migrants dans toute l’Europe et non pas seulement au pays transit, comme l’Italie. Cet accord durcit le contrôle aux frontières ce qui permet de dissuader les migrants au départ. De plus, ce plan d’action aura pour mission de renforcer les frontières extérieures, garantir la solidarité entre États membres, harmoniser la politique européenne et mettre fin au système de « Dublin ». Celui-ci oblige les premiers pays d’accueil à traiter les demandes d’asiles de migrants arrivants sur leur sol, cette politique désavantage fortement les pays de transit comme la Grèce ou l’Italie. Malgré les efforts de réforme, l’Union européenne fait face à de nombreux défis dans l’application de ses nouvelles politiques migratoires. Il y a beaucoup de reproches concernant le nouveau plan d’action européen, de la part de la communauté internationale et des États membres de l’UE. En effet, la procédure de demande d’asile doit permettre une accélération des traitements, or on peut se demander si la protection du droit d’asile et du droit à un accès adéquat à la procédure sera garanti par la convention de Genève. De plus, il est important de noter que pour le moment, l’Union européenne n’a pas encore établi un nouveau cadre juridique qui permettra d’organiser concrètement les centres d’administrations des migrants qui sont actuellement débordés.  

En conclusion, l’Union européenne fait face à des défis majeurs en matière d’immigration, notamment en raison de l’instrumentalisation des migrants à des fins politiques par certains pays tiers voisins comme la Biélorussie. Malgré une volonté de réformer la politique migratoire européenne, on peut noter les difficultés de coordination entre les États membres de l’UE. Il est pourtant nécessaire d’instaurer une politique efficace, humanitaire et sûre. Dans ce contexte, l’UE a proposé un Pacte européen sur l’asile et la migration pour répondre à la crise migratoire et homogénéiser la charge des migrants sur l’ensemble de l’Union européenne. Ce pacte est très bien accueillie par les pays de transit, comme l’Italie. Cependant, l’UE doit encore relever de nombreux défis pour mettre en œuvre une politique migratoire efficace et respectueuse des droits des migrants. 

Sources :

Barthélémy Gaillard, 8 février 2023. Qu’est-ce que le Pacte européen sur la migration et l’asile ?. Toute l’Europe, comprendre l’Europe.  

Comité économique et social européen. 20 juin 2022. L’instrumentalisation des migrants et la crise des réfugiés ukrainiens imposent un nouveau départ à la politique migratoire.  

Conseil européen, conseil de l’union européenne. 15 novembre 2021. Biélorussie : l’UE élargit le champ des sanctions pour lutter contre les attaques hybrides et l’instrumentalisation des migrants.

Consilium Europa de l’Union Européenne, Politique migratoire de l’UE, https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/#:~:text=Le%204%20mars%202022%2C%20l,le%20s%C3%A9jour (consulté le 26 février 2023). 

Eurostat, Conseil Européen, Conseil de l’Union Européenne. 

OUBAZIZ, Y. 2020. Le Pacte sur la Migration et l’Asile : pourquoi l’Union Européenne a décidé de modifier ses politiques d’asile et de migration. Generation for Rights Over the World.growthinktank.org. [online] Dec. 2020. 

Vues d’Europe. 15 février 2022. « Instrumentalisation » de la migration : la Commission mise sur des dérogations en matière d’asile

Un couple franco-allemand qui bat de l’aile 

Par Alexandre Boué – 09/03/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Le 22 janvier dernier, les chefs d’État français et allemand se sont retrouvés à Paris pour célébrer les 60 ans du Traité de l’Elysée signé le 22 janvier 2023 par l’ancien Président français Charles de Gaulle et l’ancien Chancelier allemand Konrad Adenauer. Ce traité d’amitié est venu officialiser la réconciliation entre la France et l’Allemagne tout en définissant le cadre des coopérations dans divers domaines entre ces deux pays frontaliers. 

Ce traité fut à l’origine du célèbre “couple franco-allemand” venant institutionnaliser les relations entre les deux pays en permettant aux chefs d’Etats de se rencontrer régulièrement. 

Ainsi, si le couple fête ses noces de diamants, il n’échappe toutefois pas aux crises jalonnant ses années de mariage qui commencent à laisser présager un essoufflement dans la relation bilatérale. S’il est effectivement possible de parler d’essoufflement, d’autres n’hésitent pas à utiliser les termes d’agacement, d’incompréhension ou encore de désaccord pour qualifier la relation actuelle. 

Des divergences structurelles

Il est possible de voir apparaître publiquement les premières tensions en octobre 2022 lorsque la France a décidé de reporter la réunion des deux gouvernements suite à des conflits entre les deux pays. En effet, l’Allemagne avait, en octobre 2022, annoncé un projet de bouclier antimissile européen associant quatorze pays de l’OTAN sans prendre en compte la France. De plus, en réponse à la crise énergétique, l’Allemagne avait décidé de plafonner le prix du gaz et de débloquer un fonds de 200 milliards d’euros sans avertir la France qui craignait que cela engendre des distorsions de compétitivité. 

En 2017, le Président français Emmanuel Macron a proposé une série de propositions visant à assurer la position de l’Europe face aux Etats-Unis et à la Chine mais aussi face à la montée en puissance des partis nationalistes. De nombreux secteurs vont être concernés par ce projet de relance tels que l’économie, le développement durable, la sécurité, la défense, l’innovation, la jeunesse, la démocratie, le numérique, les institutions ou encore l’immigration. Ainsi les principales propositions énoncées vont être la source de la mise en place d’une “force commune d’intervention” d’ici 2022. Elle va aussi permettre la mise en place d’une taxe sur les transactions financières ou encore la création d’un “juste prix” pour le carbone au niveau européen.

L’absence de réponse de la part de l’Allemagne suite à cette volonté de relance de l’Europe va irriter la France et renforcer les tensions entre les deux. Les divergences entre les deux pays sont bien plus profondes et vont toucher des domaines cruciaux. Claire Demesmay, chercheuse au Centre Marc Bloch de Berlin, évoque des approches distinctes sur des secteurs précis tels que la Défense ou l’énergie. 

Ainsi concernant la défense, d’un côté nous avons la France qui possède l’ambition de disposer d’une souveraineté dans ce domaine et aimerait le développement d’une “Europe de la défense”. De l’autre côté, nous avons l’Allemagne qui confie sa défense et sa sécurité aux Etats-Unis par le biais de l’OTAN. 

De même concernant l’énergie, la France a opté pour le nucléaire tandis que l’Allemagne a choisi de miser sur les énergies renouvelables et le gaz russe. 

Des tensions au sein du couple ravivées par le conflit ukrainien

Si le conflit ukrainien est venu refaire surgir le monstre de la guerre en Europe, il a aussi révélé en grande partie les tensions, les divergences et les malentendus qui existaient dans le couple franco-allemand. 

En effet, comme nous l’avons dit précédemment un profond désaccord existe entre les deux au niveau de l’énergie avec une France nucléaire et une Allemagne au gaz.

En 1997, la société russe Gazprom lance un projet de construction et d’exploitation d’une canalisation de gaz russe à destination de l’Allemagne du nord. En 2005, la société Gazprom et son associé allemand la société Ruhrgas ont décidé de signer un accord sur la base de la construction du gazoduc. Fin 2005, la construction débute et le gouvernement allemand se porte garant d’un crédit d’un milliard d’euros pour la construction de ce gazoduc germano-russe. Le gazoduc est inauguré en 2011 sous le nom de Nord Stream 1 et est en activité depuis 2012. Dans une volonté de doubler la capacité de transport du gaz, les sociétés Gazprom, Shell, Uniper, Engie, OMV et Wintershall ont lancé la construction d’un deuxième gazoduc passant par la mer Baltique; c’est la naissance de Nord Stream 2. Le 2 septembre 2022, Gazprom, la société à l’origine du projet Nord Stream, annonce le report sine die du redémarrage de Nord Stream. Et concernant Nord Stream 2, le gazoduc n’a pas supporté les sanctions provenant de l’Union européenne et des Etats-Unis et a dû déposer le bilan ainsi que licencier l’ensemble de ses salariés. Si la liquidation de Nord Stream a créé une crainte en Allemagne sur la question d’approvisionnement en gaz et donc d’énergie, elle a eu aussi un impact sur l’industrie française. En effet, le célèbre groupe énergétique français Engie était créancier du gazoduc et avait accordé un prêt à hauteur d’1 milliard d’euros. Suite au dépôt de bilan, le titre d’Engie a chuté de 13% sur la Bourse de Paris. 

De plus, la crise ukrainienne a approfondi les désaccords existant au niveau de la Défense puisque la France n’a pas apprécié que l’Allemagne achète des avions américains F-35 pour remplacer ses Tornados et que cela aurait été un geste de solidarité économique que d’acheter des Rafales français. Toutefois, il est important de rappeler que les anciens Tornados participaient au “partage nucléaire” dans le cadre de l’OTAN, ce pour quoi les Rafales ne sont pas équipés. 

La fin du tandem franco-allemand incontournable en Europe

Si au cours du 60ème anniversaire du Traité de l’Elysée, le Président Français Emmanuel Macron a voulu rappeler à l’Allemagne l’importance du couple franco-allemand et l’amitié profonde entre les deux pays, il est évident que la relation entre les deux pays n’est plus si exclusive. 

Les relations franco-allemandes vont  être mises à rude épreuve à chaque fois qu’il sera question de l’Europe centrale et de l’Est. “L’Ostpolitik” de l’ancien Président allemand Willy Brandt incita ainsi  l’ancien Président français Georges Pompidou à ouvrir les portes de la Communauté économique européenne au Royaume-Uni pour faire une sorte de contrepoids et garder le pouvoir décisionnel dans l’Europe de l’ouest. De même la chute du Mur entraînant la réunification des deux Allemagnes  conduisirent l’ancien Président français François Mitterrand à défendre notamment la mise en place d’une monnaie unique, en obtenant de l’Allemagne le sacrifice de son précieux et puissant Deutsche Mark. 

Ainsi la perspective d’une adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Géorgie et des Balkans déplacerait le centre de gravité de l’UE vers l’est en renforçant in fine la position centrale de l’Allemagne. Ce déplacement du pouvoir décisionnel vers une Europe centrale mettant de facto l’Allemagne au cœur de l’Europe va constituer un défi politique pour les autorités françaises qui vont devoir redoubler d’humilité et d’inventivité dans leur dialogue avec Berlin.

Avec ce potentiel élargissement, la France n’en est pas restée là et a souhaité développer ses relations avec ses voisins transfrontaliers. Ainsi la France a signé deux traités avec l’Italie et l’Espagne, le traité du Quirinal, signé le 26 novembre 2021, entré en vigueur le 1er février 2023, et le traité de Barcelone, signé le 19 janvier 2023, soit 3 jours avant la cérémonie franco-allemande. Cette décision laisse entendre une volonté française de renforcer ses relations traditionnelles avec l’Europe du sud et de faire comprendre à l’Allemagne que finalement ce couple franco-allemand n’est pas forcément le seul modèle exclusif possible en Europe. 

Néanmoins, la bonne réalisation d’un traité dépend toujours d’une certaine volonté politique des leaders européens, comme en témoigne le marasme franco-allemand et le doute qui s’installe sur le traité du Quirinal avec l’élection de la nouvelle Présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni. Face à cette constitution de nouveaux blocs autour de la France. Quant à l’Allemagne cherche elle aussi à renforcer ses liens bilatéraux avec l’Espagne avec qui elle a signé un plan d’action en octobre 2022 et compte en signer un avec l’Italie en 2023.

Enfin la crise entre les deux pays se cristallise avec la volonté de l’Allemagne d’imposer à la France la cessation de son siège au Conseil de sécurité des Nations unies à l’UE dans un but de solidarité et de respect envers les valeurs de l’Union européenne. Dans la même logique, l’Allemagne souhaiterait le transfert du Parlement européen de Strasbourg à Bruxelles.

Tout ceci n’est pas nouveau mais vient renforcer les peurs que partagent les deux pays à savoir une utilisation de l’Union européenne par l’autre dans le but de servir ses propres intérêts. La montée de mouvements conservateurs et eurosceptiques dans les deux pays n’a pas arrangé les choses avec des revendications d’asservissement et d’expansionnisme dans la politique des pays.  

Un couple en crise mais pas divorcé

Les tensions dans le couple franco-allemand ont suscité beaucoup de commentaires. Toutefois ces tensions peuvent être exagérées par certains dans le but de dépeindre les solutions trouvées comme un sauvetage de l’Europe et ainsi représenter le tandem franco-allemand comme incontournable. Il est important de rappeler que les deux États ont toujours trouvé des solutions à leurs problèmes et aux divergences. Pour preuve il n’y a jamais eu de vraie crise réelle et profonde  entre les deux pays depuis 1945. Depuis le Brexit, la France et l’Allemagne représentent à elles seules environ 40% du PIB général de l’Union européenne ce qui rend impossible la mise à l’écart de l’un d’eux dans les décisions de l’Union européenne. De plus, le Président français et le Chancelier Allemand sont tous deux europhiles laissant ainsi présager une volonté commune de faire progresser l’Europe et le poids de l’Union européenne dans le monde. 

Sources : 

Radio Canada, La vie des idées, le Monde, les Échos, Libération

 

Le Qatargate ; symbole de la remise en cause d’une culture d’impunité au sein de l’UE ?

Par Cécilia Philippe – 02/03/2023 – Cet article n’engage que son autrice: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Si ces derniers mois ont pu mettre en lumière le « Qatargate », il reste clair que cette affaire juridique sans précédent secoue le Parlement européen (PE) en exposant la corruption en son sein comme une problématique fréquente. Dans le contexte de la préparation aux prochaines élections européennes de 2024, le Qatargate met à mal l’intégrité du Parlement et les directives de transparence promulguées par les instances de l’Union Européenne (UE). 

Au lendemain de la coupe du monde de football 2022 organisée par le Qatar, de nombreux acteurs socio-politiques continuent à faire entendre leur critique quant au faible respect des droits humains observé tout au long de cet événement. Toutefois, afin de s’assurer un traitement de faveur dans l’hémicycle, le Qatar avait ciblé plusieurs de ses membres – issus notamment des partis socialistes – en leur offrant de l’argent en échange d’un discours validant leur garantie des droits humains. Le Qatargate fait donc référence « au plus grave scandale politico-financier » ayant éclaté au Parlement européen, dont le réseau de corruption a joué pour la défense des intérêts du Qatar au sein des institutions de l’Union. Courant décembre 2022, plusieurs actuels et anciens eurodéputés – dont la vice-présidente du Parlement Eva Kaïlí ou encore l’ancien leader syndical Pier Antoni Panzeri – ont été arrêtés après la découverte de sommes conséquentes d’argent liquide à leur domicile. 

En plus des découvertes du Qatargate, l’enquête ouverte par les autorités belges dénonce en même temps l’implication du Maroc dans l’affaire de corruption du parlement européen. Soupçonné d’avoir influé sur les élus parlementaires en visant un plus grand soutien concernant ses intérêts au Sahara occidental ou un regard plus laxiste quant à l’application des droits humains, le royaume chérifien se retrouve visé – aux côtés de l’émirat – par les résolutions (non contraignantes) discutées récemment au  Parlement. Par ailleurs, certaines sources affirment que les racines du Marocgate s’ancrent davantage dans le temps, ce qui pose aussi la question de l’étendue réelle de ces réseaux de corruption.  

La boîte de Pandore qu’ouvre le Qatargate révèle ainsi de nombreux enjeux et limites dans la gouvernance européenne. D’un côté, la diminution de la confiance dans l’intégrité du Parlement et dans l’État de droit doit être soulignée. La présidente du PE Roberta Metsola parle alors d’une « attaque majeure à la démocratie ». Le manque de transparence s’illustre ainsi par l’absence de réglementation et de suivi effectif quant aux déclarations financières des eurodéputés, aux tenues des registres répertoriant leurs réunions ou encore quant à « l’empreinte législative » des lobbyistes. Le risque de pantouflage où l’accès facilité des anciens députés au Parlement est également abordé. Enfin, l’importante couverture médiatique du scandale peut contribuer à former une opinion publique davantage sceptique sur la gouvernance de l’Union, où des intérêts privés et externes viennent miner les droits des citoyens et du processus démocratiques. Au prisme des prochaines élections européennes de 2024, le Qatargate fait donc couler beaucoup d’encre et pousse les élus parlementaires à redoubler d’efforts afin de redorer l’image de l’institution – bien que certains prévoient déjà une baisse d’intention de vote des électeurs européens, voir un tournant vers des élus issus de partis populistes d’extrême-droite. 

De l’autre côté, la présence d’une ingérence étrangère au sein du Parlement engage des limites quant à son indépendance, son cadre éthique et sa capacité à faire respecter ses propres standards. De plus, des inquiétudes s’élèvent sur le risque d’une dégradation des relations UE/Qatar ou UE/Maroc. Bien que non contraignantes actuellement, les résolutions adoptées ces derniers jours suscitent des tensions diplomatiques qui peuvent alors se répercuter au niveau économique. Dans le cadre du conflit russo-ukrainien, l’Union fait face à plusieurs enjeux relatifs à la sécurité énergétique. En souhaitant se détourner du gaz russe, l’alternative par le gaz naturel liquéfié du Qatar se retrouve aujourd’hui compromise par les mesures adoptées à l’encontre de l’émirat, illustrant cette dégradation des relations bilatérales. Cependant, cela pourrait ranimer les efforts de l’UE dans le domaine de la transition énergétique.

Face à la récurrence de ces allégations de corruption au sein de l’UE, plusieurs mesures sont aujourd’hui débattues. Dès décembre 2022, l’hémicycle a alors adopté une résolution sur les soupçons de corruption par le Qatar, en impliquant le besoin de transparence et de responsabilité au sein des institutions européennes (2022/3012(RSP)). Par la suite, la présidente du PE Roberta Metsola a annoncé 14 mesures visant à renforcer la crédibilité, la responsabilité et la transparence des institutions communautaires, afin de déjouer la « culture de l’impunité » soulevée récemment grâce aux différentes enquêtes au sein des institutions européennes. 

Plus récemment, le Parlement a réitéré son appel en faveur d’un organisme éthique indépendant censé assurer l’intégrité des institutions communautaires européennes. La création de cet organisme permettrait alors d’initier des enquêtes de sa propre initiative et détiendrait la capacité de vérifier les déclarations d’intérêts financiers des membres. Si certains comparent la lutte contre la corruption à un « objectif moral inaccessible », la création de cette autorité éthique européenne permettrait néanmoins de renforcer l’intégrité des institutions européennes. Toutefois, une telle prérogative ne pourrait qu’être initiée par la Commission – bien que sa présidente Ursula Von Der Leyen y semble favorable. Par conséquent, les eurodéputés demandent l’engagement rapide de cette procédure, et soulignent également – dans une résolution adoptée ce jeudi 16 février – le besoin d’une application plus stricte du code de conduite interne. En effet, malgré le signalement de nombreuses violations, peu de sanctions ont été mises en place.

Finalement, cette affaire pose la question du rôle limité de la justice européenne et pousse à revoir son effectivité. En effet, le parquet fédéral belge prend les devants au détriment de la justice européenne dont le rôle statique fait émerger plusieurs critiques. En raison d’une compétence pénale qui varie selon la législation de chaque État membre et les compétences des juridictions nationales qui restent de facto limitées par leurs frontières, le parquet européen demeure quelque peu immobile face au Qatargate. Ainsi, certaines affaires européennes transfrontalières restent soumises à des lacunes judiciaires dans lesquelles les justices nationales demeurent les seules capables d’initier et d’appliquer une procédure pénale. De l’autre côté, les investigations administratives de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) affirment ne pas être liées au scandale.

En conclusion, le Qatargate met en avant la complexité du système institutionnel et politique de l’UE. Cette affaire aborde plusieurs questions relatives à la transparence et à l’impunité de la gouvernance européenne, dont les réponses pourraient bientôt s’illustrer à travers des réformes plus effectives – et peut-être plus contraignantes. Enfin, ce scandale s’inscrit dans un contexte diplomatique difficile qui fragilise les institutions européennes et sa position sur la scène internationale.

Dessin de Pascal Gros (@GrosPascal) dans @MarianneleMag