Le Qatargate ; symbole de la remise en cause d’une culture d’impunité au sein de l’UE ?

Par Cécilia Philippe – 02/03/2023 – Cet article n’engage que son autrice: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Si ces derniers mois ont pu mettre en lumière le « Qatargate », il reste clair que cette affaire juridique sans précédent secoue le Parlement européen (PE) en exposant la corruption en son sein comme une problématique fréquente. Dans le contexte de la préparation aux prochaines élections européennes de 2024, le Qatargate met à mal l’intégrité du Parlement et les directives de transparence promulguées par les instances de l’Union Européenne (UE). 

Au lendemain de la coupe du monde de football 2022 organisée par le Qatar, de nombreux acteurs socio-politiques continuent à faire entendre leur critique quant au faible respect des droits humains observé tout au long de cet événement. Toutefois, afin de s’assurer un traitement de faveur dans l’hémicycle, le Qatar avait ciblé plusieurs de ses membres – issus notamment des partis socialistes – en leur offrant de l’argent en échange d’un discours validant leur garantie des droits humains. Le Qatargate fait donc référence « au plus grave scandale politico-financier » ayant éclaté au Parlement européen, dont le réseau de corruption a joué pour la défense des intérêts du Qatar au sein des institutions de l’Union. Courant décembre 2022, plusieurs actuels et anciens eurodéputés – dont la vice-présidente du Parlement Eva Kaïlí ou encore l’ancien leader syndical Pier Antoni Panzeri – ont été arrêtés après la découverte de sommes conséquentes d’argent liquide à leur domicile. 

En plus des découvertes du Qatargate, l’enquête ouverte par les autorités belges dénonce en même temps l’implication du Maroc dans l’affaire de corruption du parlement européen. Soupçonné d’avoir influé sur les élus parlementaires en visant un plus grand soutien concernant ses intérêts au Sahara occidental ou un regard plus laxiste quant à l’application des droits humains, le royaume chérifien se retrouve visé – aux côtés de l’émirat – par les résolutions (non contraignantes) discutées récemment au  Parlement. Par ailleurs, certaines sources affirment que les racines du Marocgate s’ancrent davantage dans le temps, ce qui pose aussi la question de l’étendue réelle de ces réseaux de corruption.  

La boîte de Pandore qu’ouvre le Qatargate révèle ainsi de nombreux enjeux et limites dans la gouvernance européenne. D’un côté, la diminution de la confiance dans l’intégrité du Parlement et dans l’État de droit doit être soulignée. La présidente du PE Roberta Metsola parle alors d’une « attaque majeure à la démocratie ». Le manque de transparence s’illustre ainsi par l’absence de réglementation et de suivi effectif quant aux déclarations financières des eurodéputés, aux tenues des registres répertoriant leurs réunions ou encore quant à « l’empreinte législative » des lobbyistes. Le risque de pantouflage où l’accès facilité des anciens députés au Parlement est également abordé. Enfin, l’importante couverture médiatique du scandale peut contribuer à former une opinion publique davantage sceptique sur la gouvernance de l’Union, où des intérêts privés et externes viennent miner les droits des citoyens et du processus démocratiques. Au prisme des prochaines élections européennes de 2024, le Qatargate fait donc couler beaucoup d’encre et pousse les élus parlementaires à redoubler d’efforts afin de redorer l’image de l’institution – bien que certains prévoient déjà une baisse d’intention de vote des électeurs européens, voir un tournant vers des élus issus de partis populistes d’extrême-droite. 

De l’autre côté, la présence d’une ingérence étrangère au sein du Parlement engage des limites quant à son indépendance, son cadre éthique et sa capacité à faire respecter ses propres standards. De plus, des inquiétudes s’élèvent sur le risque d’une dégradation des relations UE/Qatar ou UE/Maroc. Bien que non contraignantes actuellement, les résolutions adoptées ces derniers jours suscitent des tensions diplomatiques qui peuvent alors se répercuter au niveau économique. Dans le cadre du conflit russo-ukrainien, l’Union fait face à plusieurs enjeux relatifs à la sécurité énergétique. En souhaitant se détourner du gaz russe, l’alternative par le gaz naturel liquéfié du Qatar se retrouve aujourd’hui compromise par les mesures adoptées à l’encontre de l’émirat, illustrant cette dégradation des relations bilatérales. Cependant, cela pourrait ranimer les efforts de l’UE dans le domaine de la transition énergétique.

Face à la récurrence de ces allégations de corruption au sein de l’UE, plusieurs mesures sont aujourd’hui débattues. Dès décembre 2022, l’hémicycle a alors adopté une résolution sur les soupçons de corruption par le Qatar, en impliquant le besoin de transparence et de responsabilité au sein des institutions européennes (2022/3012(RSP)). Par la suite, la présidente du PE Roberta Metsola a annoncé 14 mesures visant à renforcer la crédibilité, la responsabilité et la transparence des institutions communautaires, afin de déjouer la « culture de l’impunité » soulevée récemment grâce aux différentes enquêtes au sein des institutions européennes. 

Plus récemment, le Parlement a réitéré son appel en faveur d’un organisme éthique indépendant censé assurer l’intégrité des institutions communautaires européennes. La création de cet organisme permettrait alors d’initier des enquêtes de sa propre initiative et détiendrait la capacité de vérifier les déclarations d’intérêts financiers des membres. Si certains comparent la lutte contre la corruption à un « objectif moral inaccessible », la création de cette autorité éthique européenne permettrait néanmoins de renforcer l’intégrité des institutions européennes. Toutefois, une telle prérogative ne pourrait qu’être initiée par la Commission – bien que sa présidente Ursula Von Der Leyen y semble favorable. Par conséquent, les eurodéputés demandent l’engagement rapide de cette procédure, et soulignent également – dans une résolution adoptée ce jeudi 16 février – le besoin d’une application plus stricte du code de conduite interne. En effet, malgré le signalement de nombreuses violations, peu de sanctions ont été mises en place.

Finalement, cette affaire pose la question du rôle limité de la justice européenne et pousse à revoir son effectivité. En effet, le parquet fédéral belge prend les devants au détriment de la justice européenne dont le rôle statique fait émerger plusieurs critiques. En raison d’une compétence pénale qui varie selon la législation de chaque État membre et les compétences des juridictions nationales qui restent de facto limitées par leurs frontières, le parquet européen demeure quelque peu immobile face au Qatargate. Ainsi, certaines affaires européennes transfrontalières restent soumises à des lacunes judiciaires dans lesquelles les justices nationales demeurent les seules capables d’initier et d’appliquer une procédure pénale. De l’autre côté, les investigations administratives de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) affirment ne pas être liées au scandale.

En conclusion, le Qatargate met en avant la complexité du système institutionnel et politique de l’UE. Cette affaire aborde plusieurs questions relatives à la transparence et à l’impunité de la gouvernance européenne, dont les réponses pourraient bientôt s’illustrer à travers des réformes plus effectives – et peut-être plus contraignantes. Enfin, ce scandale s’inscrit dans un contexte diplomatique difficile qui fragilise les institutions européennes et sa position sur la scène internationale.

Dessin de Pascal Gros (@GrosPascal) dans @MarianneleMag

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