Un couple franco-allemand qui bat de l’aile 

Par Alexandre Boué – 09/03/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Le 22 janvier dernier, les chefs d’État français et allemand se sont retrouvés à Paris pour célébrer les 60 ans du Traité de l’Elysée signé le 22 janvier 2023 par l’ancien Président français Charles de Gaulle et l’ancien Chancelier allemand Konrad Adenauer. Ce traité d’amitié est venu officialiser la réconciliation entre la France et l’Allemagne tout en définissant le cadre des coopérations dans divers domaines entre ces deux pays frontaliers. 

Ce traité fut à l’origine du célèbre “couple franco-allemand” venant institutionnaliser les relations entre les deux pays en permettant aux chefs d’Etats de se rencontrer régulièrement. 

Ainsi, si le couple fête ses noces de diamants, il n’échappe toutefois pas aux crises jalonnant ses années de mariage qui commencent à laisser présager un essoufflement dans la relation bilatérale. S’il est effectivement possible de parler d’essoufflement, d’autres n’hésitent pas à utiliser les termes d’agacement, d’incompréhension ou encore de désaccord pour qualifier la relation actuelle. 

Des divergences structurelles

Il est possible de voir apparaître publiquement les premières tensions en octobre 2022 lorsque la France a décidé de reporter la réunion des deux gouvernements suite à des conflits entre les deux pays. En effet, l’Allemagne avait, en octobre 2022, annoncé un projet de bouclier antimissile européen associant quatorze pays de l’OTAN sans prendre en compte la France. De plus, en réponse à la crise énergétique, l’Allemagne avait décidé de plafonner le prix du gaz et de débloquer un fonds de 200 milliards d’euros sans avertir la France qui craignait que cela engendre des distorsions de compétitivité. 

En 2017, le Président français Emmanuel Macron a proposé une série de propositions visant à assurer la position de l’Europe face aux Etats-Unis et à la Chine mais aussi face à la montée en puissance des partis nationalistes. De nombreux secteurs vont être concernés par ce projet de relance tels que l’économie, le développement durable, la sécurité, la défense, l’innovation, la jeunesse, la démocratie, le numérique, les institutions ou encore l’immigration. Ainsi les principales propositions énoncées vont être la source de la mise en place d’une “force commune d’intervention” d’ici 2022. Elle va aussi permettre la mise en place d’une taxe sur les transactions financières ou encore la création d’un “juste prix” pour le carbone au niveau européen.

L’absence de réponse de la part de l’Allemagne suite à cette volonté de relance de l’Europe va irriter la France et renforcer les tensions entre les deux. Les divergences entre les deux pays sont bien plus profondes et vont toucher des domaines cruciaux. Claire Demesmay, chercheuse au Centre Marc Bloch de Berlin, évoque des approches distinctes sur des secteurs précis tels que la Défense ou l’énergie. 

Ainsi concernant la défense, d’un côté nous avons la France qui possède l’ambition de disposer d’une souveraineté dans ce domaine et aimerait le développement d’une “Europe de la défense”. De l’autre côté, nous avons l’Allemagne qui confie sa défense et sa sécurité aux Etats-Unis par le biais de l’OTAN. 

De même concernant l’énergie, la France a opté pour le nucléaire tandis que l’Allemagne a choisi de miser sur les énergies renouvelables et le gaz russe. 

Des tensions au sein du couple ravivées par le conflit ukrainien

Si le conflit ukrainien est venu refaire surgir le monstre de la guerre en Europe, il a aussi révélé en grande partie les tensions, les divergences et les malentendus qui existaient dans le couple franco-allemand. 

En effet, comme nous l’avons dit précédemment un profond désaccord existe entre les deux au niveau de l’énergie avec une France nucléaire et une Allemagne au gaz.

En 1997, la société russe Gazprom lance un projet de construction et d’exploitation d’une canalisation de gaz russe à destination de l’Allemagne du nord. En 2005, la société Gazprom et son associé allemand la société Ruhrgas ont décidé de signer un accord sur la base de la construction du gazoduc. Fin 2005, la construction débute et le gouvernement allemand se porte garant d’un crédit d’un milliard d’euros pour la construction de ce gazoduc germano-russe. Le gazoduc est inauguré en 2011 sous le nom de Nord Stream 1 et est en activité depuis 2012. Dans une volonté de doubler la capacité de transport du gaz, les sociétés Gazprom, Shell, Uniper, Engie, OMV et Wintershall ont lancé la construction d’un deuxième gazoduc passant par la mer Baltique; c’est la naissance de Nord Stream 2. Le 2 septembre 2022, Gazprom, la société à l’origine du projet Nord Stream, annonce le report sine die du redémarrage de Nord Stream. Et concernant Nord Stream 2, le gazoduc n’a pas supporté les sanctions provenant de l’Union européenne et des Etats-Unis et a dû déposer le bilan ainsi que licencier l’ensemble de ses salariés. Si la liquidation de Nord Stream a créé une crainte en Allemagne sur la question d’approvisionnement en gaz et donc d’énergie, elle a eu aussi un impact sur l’industrie française. En effet, le célèbre groupe énergétique français Engie était créancier du gazoduc et avait accordé un prêt à hauteur d’1 milliard d’euros. Suite au dépôt de bilan, le titre d’Engie a chuté de 13% sur la Bourse de Paris. 

De plus, la crise ukrainienne a approfondi les désaccords existant au niveau de la Défense puisque la France n’a pas apprécié que l’Allemagne achète des avions américains F-35 pour remplacer ses Tornados et que cela aurait été un geste de solidarité économique que d’acheter des Rafales français. Toutefois, il est important de rappeler que les anciens Tornados participaient au “partage nucléaire” dans le cadre de l’OTAN, ce pour quoi les Rafales ne sont pas équipés. 

La fin du tandem franco-allemand incontournable en Europe

Si au cours du 60ème anniversaire du Traité de l’Elysée, le Président Français Emmanuel Macron a voulu rappeler à l’Allemagne l’importance du couple franco-allemand et l’amitié profonde entre les deux pays, il est évident que la relation entre les deux pays n’est plus si exclusive. 

Les relations franco-allemandes vont  être mises à rude épreuve à chaque fois qu’il sera question de l’Europe centrale et de l’Est. “L’Ostpolitik” de l’ancien Président allemand Willy Brandt incita ainsi  l’ancien Président français Georges Pompidou à ouvrir les portes de la Communauté économique européenne au Royaume-Uni pour faire une sorte de contrepoids et garder le pouvoir décisionnel dans l’Europe de l’ouest. De même la chute du Mur entraînant la réunification des deux Allemagnes  conduisirent l’ancien Président français François Mitterrand à défendre notamment la mise en place d’une monnaie unique, en obtenant de l’Allemagne le sacrifice de son précieux et puissant Deutsche Mark. 

Ainsi la perspective d’une adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Géorgie et des Balkans déplacerait le centre de gravité de l’UE vers l’est en renforçant in fine la position centrale de l’Allemagne. Ce déplacement du pouvoir décisionnel vers une Europe centrale mettant de facto l’Allemagne au cœur de l’Europe va constituer un défi politique pour les autorités françaises qui vont devoir redoubler d’humilité et d’inventivité dans leur dialogue avec Berlin.

Avec ce potentiel élargissement, la France n’en est pas restée là et a souhaité développer ses relations avec ses voisins transfrontaliers. Ainsi la France a signé deux traités avec l’Italie et l’Espagne, le traité du Quirinal, signé le 26 novembre 2021, entré en vigueur le 1er février 2023, et le traité de Barcelone, signé le 19 janvier 2023, soit 3 jours avant la cérémonie franco-allemande. Cette décision laisse entendre une volonté française de renforcer ses relations traditionnelles avec l’Europe du sud et de faire comprendre à l’Allemagne que finalement ce couple franco-allemand n’est pas forcément le seul modèle exclusif possible en Europe. 

Néanmoins, la bonne réalisation d’un traité dépend toujours d’une certaine volonté politique des leaders européens, comme en témoigne le marasme franco-allemand et le doute qui s’installe sur le traité du Quirinal avec l’élection de la nouvelle Présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni. Face à cette constitution de nouveaux blocs autour de la France. Quant à l’Allemagne cherche elle aussi à renforcer ses liens bilatéraux avec l’Espagne avec qui elle a signé un plan d’action en octobre 2022 et compte en signer un avec l’Italie en 2023.

Enfin la crise entre les deux pays se cristallise avec la volonté de l’Allemagne d’imposer à la France la cessation de son siège au Conseil de sécurité des Nations unies à l’UE dans un but de solidarité et de respect envers les valeurs de l’Union européenne. Dans la même logique, l’Allemagne souhaiterait le transfert du Parlement européen de Strasbourg à Bruxelles.

Tout ceci n’est pas nouveau mais vient renforcer les peurs que partagent les deux pays à savoir une utilisation de l’Union européenne par l’autre dans le but de servir ses propres intérêts. La montée de mouvements conservateurs et eurosceptiques dans les deux pays n’a pas arrangé les choses avec des revendications d’asservissement et d’expansionnisme dans la politique des pays.  

Un couple en crise mais pas divorcé

Les tensions dans le couple franco-allemand ont suscité beaucoup de commentaires. Toutefois ces tensions peuvent être exagérées par certains dans le but de dépeindre les solutions trouvées comme un sauvetage de l’Europe et ainsi représenter le tandem franco-allemand comme incontournable. Il est important de rappeler que les deux États ont toujours trouvé des solutions à leurs problèmes et aux divergences. Pour preuve il n’y a jamais eu de vraie crise réelle et profonde  entre les deux pays depuis 1945. Depuis le Brexit, la France et l’Allemagne représentent à elles seules environ 40% du PIB général de l’Union européenne ce qui rend impossible la mise à l’écart de l’un d’eux dans les décisions de l’Union européenne. De plus, le Président français et le Chancelier Allemand sont tous deux europhiles laissant ainsi présager une volonté commune de faire progresser l’Europe et le poids de l’Union européenne dans le monde. 

Sources : 

Radio Canada, La vie des idées, le Monde, les Échos, Libération

 

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