Crise du secteur agricole : le ras-le-bol des agriculteurs se déferle à travers l’Europe.

Par Lynda-Léa Belkadi – 16/02/2024 – Cet article n’engage que son auteur : la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Des Pays-Bas jusqu’en Italie en passant par l’Allemagne, la Roumanie ou encore la France ; la colère des agriculteurs européens ne cesse de grandir.

Face aux normes environnementales jugées trop contraignantes, à la hausse des coûts de production, à la baisse des prix de ventes, aux salaires trop bas et à la concurrence déloyale due à l’importation de produits alimentaires en provenance d’Ukraine ; la crise agricole qui ne date pas d’hier est aujourd’hui à son apogée.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, les agriculteurs dénoncent les nombreuses réformes de la Politique Agricole Commune (PAC) et la précarisation incessante de leurs situations. Les récentes mobilisations ne sont donc pas une surprise. C’est le fruit d’une très longue agonie avec des tournants décisifs depuis quelques années.

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Mobilisations dans 17 des 27 pays membres de l’UE 

La grogne agricole serait l’apanage de 17 pays membres de l’UE, selon une déclaration de Christiane Lambert, ancienne présidente de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricole (FNSEA) et actuelle présidente du Comité des Organisations professionnelles des agricoles (COPA). Plus de la moitié des 27 pays membres sont touchés par les revendications de leurs agriculteurs. Le COPA confirme que pratiquement tous les pays ont ou ont eu un mouvement lié à la crise actuelle.

A l’origine, ce sont les Néerlandais qui ont lancé le coup d’envoi. Entre 2019 et 2023 plusieurs manifestations ont traversé le pays. En effet, le plus haut juge administratif des Pays-Bas a donné en 2019 un ordre au gouvernement de réduire de 50% les émissions d’azote du pays et ce, le plus rapidement possible. Le premier ministre, Mark Rutte réduit alors le nombre d’élevages et d’exploitations agricoles. Sur les 50 000 exploitations néerlandaises, plus de la moitié sont à présent menacées. Cette décision est perçue par les agriculteurs comme un coup dur pour l’économie du pays qui a été jusqu’à présent, le deuxième exportateur mondial de produits agro-alimentaires derrière les Etats-Unis.

En France, les agriculteurs français ne sont pas les moins épargnés par les mesures prises par l’Union Européenne dans le secteur agricole. Ils dénoncent notamment la fragilité de leur situation économique depuis 2015 lorsque, pour la première fois depuis l’après-guerre, la France a enregistré une balance commerciale déficitaire sur les échanges agroalimentaires européens. En somme, la France importe plus qu’elle exporte. De plus, depuis la date d’entrée en vigueur de la nouvelle PAC le 1er janvier 2023, la fragilité de leur situation n’a fait que s’aggraver.

Par ailleurs, la France et ses voisins de l’Europe de l’Est, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Lituanie et la Lettonie s’agacent du dossier ukrainien. Le « Corridor de solidarité » mis en place par la Commission Européenne en 2022, peu de temps après le début de la guerre Russo-Ukrainienne, permet l’augmentation de produits alimentaires venant d’Ukraine avec une exemption des droits de douane. Une concurrence jugée complètement déloyale pour les agriculteurs européens, soumis à un cahier des charges laborieux et couteux. Ils dénoncent notamment l’inondation de produits ukrainiens sur le marché européen au péril de l’agriculture locale et en violation des normes de production européenne alors que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Union Européenne.

En Europe du Sud, les mobilisations ne manquent pas aussi. Depuis le 15 janvier, les agriculteurs Italiens sont sortis un peu partout dans plusieurs villes du pays notamment en Sicile et à Rome. Le 30 janvier, les syndicats agricoles espagnols ont également annoncé rejoindre le mouvement. Le 1er février, c’est au tour des agriculteurs portugais bloquant ainsi dès le premier jour plusieurs axes routiers dont des passages à la frontière espagnole. Tous portent les mêmes revendications que leurs homologues européens du nord et de l’est.

Les réponses apportées par la Commission Européenne

Face aux nombreuses pressions que traverse le vieux continent, la Commission Européenne a adopté le 31 janvier dernier, un règlement accordant aux agriculteurs une exemption partielle de la règle de conditionnalité relative aux terres mises en jachère. Au lieu de maintenir les terres en jachère ou non productives sur 4 % de leurs terres arables, les agriculteurs de l’UE cultivant des cultures fixant l’azote (telles que des lentilles, des pois ou des fèves) et/ou des cultures dérobées sur 7 % de leurs terres arables seront considérés comme satisfaisant à cette exigence. Les agriculteurs doivent ainsi respecter un ensemble renforcé de neuf normes bénéfiques pour l’environnement et le climat. Ce principe de conditionnalité s’applique à près de 90 % de la superficie agricole utilisée dans l’UE et joue un rôle important dans l’intégration des pratiques agricoles durables. Cet ensemble de normes de base est appelé « BCAE » (bonnes conditions agricoles et environnementales).

Concernant les produits ukrainiens, Bruxelles propose de renouveler pour une année supplémentaire l’exemption des droits de douane accordée à l’Ukraine mais en l’assortissant de « mesures de sauvegarde » limitant l’impact des produits importés sur le marché européen.

Ursula Von der Leyen a déclaré à ce propos : « Ce n’est que si nos agriculteurs peuvent vivre de leurs terres qu’ils investiront dans l’avenir. Et ce n’est que si nous réalisons ensemble nos objectifs climatiques et environnementaux que les agriculteurs pourront continuer à vivre. Nos agriculteurs en sont bien conscients. Cette mesure offre une certaine souplesse aux agriculteurs tout en continuant à les récompenser pour leur travail crucial visant à favoriser la sécurité alimentaire et la durabilité de l’UE. Nous présenterons bientôt davantage de propositions pour contribuer à alléger la pression à laquelle sont confrontés nos agriculteurs.»

De son côté, le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau a salué « une solution simple et pragmatique qui conjugue transition et production« . La Commission européenne a « répondu aux demandes de la France » concernant l’assouplissement des obligations de jachères et la limitation des importations agricoles ukrainiennes, a indiqué de son côté l’Élysée.

Mardi 6 février, la présidente de la Commission Européenne a annoncé qu’elle allait proposer le retrait d’un projet de loi visant à réduire de moitié l’usage de pesticides dans l’Union Européenne. Une proposition allant de pair avec la non-satisfaction des agriculteurs malgré les mesures annoncées le 31 janvier dernier.

La crise risquerait de s’étendre sur plusieurs mois afin de mettre encore plus de pression sur les gouvernements des 27 et sur l’exécutif de l’Union Européenne.

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