Crise Migratoire Et Montée De L’Extrême Droite : Quelle Importance Pour Les Elections Européennes ?

Par Naelle Petitclerc – 3/02/2024 – Cet article n’engage que son auteur : la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Depuis les révélations du journal d’investigation Correctiv le 10 janvier, les Allemands se mobilisent par centaines de milliers pour protester contre l’extrême droite. Au cœur du scandale, une réunion tenue en novembre par le parti Alternative für Deutschland (AfD) et d’autres extrémistes pour poser les bases d’un projet de “remigration”, c’est-à-dire d’expulsion massive de millions d’immigrés résidents en Allemagne, qu’ils aient ou non le passeport. Le week-end du 19 au 21 janvier, ils étaient plus d’un 1,4 million mobilisés partout dans le pays.

Mais si cette poussée contestataire semble témoigner d’une vive opposition populaire à ces partis, ces dernières années, la montée de l’extrême droite est une réalité. Bien plus qu’un phénomène national ou isolé, l’importance prise par ces partis conservateurs dans la politique s’observe aujourd’hui à l’échelle européenne.

De gauche à droite : Geert Wilders (chef du Parti de la Liberté néerlandais), Matteo Salvini (homme politique italien de la Lega), Jörg Meuthen (dirigeant du parti allemand AfD), Marine Le Pen (femme politique française du RN), Vaselin Marehki (dirigeant du parti bulgare Volya), Jaak Madison (homme politique du parti conservateur estonien) et Tomio Okamura (dirigeant du parti tchèque Liberté et démocratie directe). Milan, 18 mai 2019 (crédit : Luca Bruno/AP)

La montée de l’extrême droite en Europe

Si aux débuts de l’Union Européenne l’extrême droite nationaliste et généralement anti-UE n’avait qu’un impact minime dans l’UE, elle se restructure aujourd’hui autour d’un projet presque pro-européen prônant une civilisation européenne blanche et chrétienne. Le Premier ministre hongrois, Orban, se positionne comme le défenseur d’une « Europe chrétienne blanche et menacée ». Profitant de la crise identitaire et sécuritaire, de l’inflation et de l’islamophobie grandissante, ces politiques conservateurs utilisent le populisme pour convaincre.

En cause de l’extrémisation des discours politiques, on trouve notamment la crise migratoire que traverse l’Europe depuis quelques années, illustrée par des épisodes comme celui de Lampedusa. En septembre dernier, c’est plus de 7 000 migrants qui ont débarqué sur cette petite île au Sud de l’Italie en 48 heures. Plus généralement, en 2023, on compte près de 275 000 arrivées irrégulières dans l’espace Schengen. Ces arrivées migratoires massives bouleversent la société européenne et se répercutent dans les choix politiques de ses citoyens.

Nationalement déjà, les partis placés à l’extrême droite de l’échiquier politique s’emparent de plus en plus de pouvoir. À la tête de la Hongrie et de l’Italie, elle occupe également une place grandissante dans les gouvernements finlandais, suédois, slovaques ou néerlandais. Cette force grandissante impacte spécifiquement le Conseil de l’UE, un conseil regroupant les présidents des 27 Etats membres.

Parlement européen et élections

Actuellement, l’enjeu majeur des élections européennes de juin 2024 est le travail du Parlement sur la réforme du système d’asile et de migration de l’UE. Avec des députés alimentant la crainte du « remplacement » de la population européenne, la mise en place d’une telle loi semble impossible.

Au Parlement, 58 députés, issus de neuf pays, appartiennent au groupe Identité et Démocratie (ID). Ils appartiennent à Lega (Italie), au Rassemblement national (France) ou à l’AfD (Allemagne). Selon les estimations, ils pourraient gagner jusqu’à 40 places au parlement. À la précédente européenne, en mai 2019, ce sont près de 200 millions d’Européens qui ont voté pour ID. Mais une partie de leurs idées sont aussi représentées dans le groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE) avec le Fratelli d’Italia (Italie), le PiS (Pologne) et le Parti des Finlandais (Finlande). Ce parti pourrait, selon les estimations, obtenir 85 sièges en juin. Soit en cas d’alliance, une force d’opposition de près d’un quart du Parlement pourrait bousculer la ligne directrice européenne actuelle.

En effet, les lois européennes initiées par la Commission sont ensuite amendées par le Parlement puis le Conseil de l’UE. Ces députés, élus au suffrage universel par les citoyens européens, ont donc un pouvoir législatif concret en Europe.

Quelles implications concrètes pour les Européens ?

Pour prévenir une force d’opposition conservatrice trop forte au Parlement, l’objectif affiché est d’aboutir à une adoption du Pacte asile et immigration avant les élections européennes. Même si certains points restent distincts comme la question des navires des ONGs, les avis sur l’immigration convergent dans leur majorité entre ces partis.

Concrètement, un résultat aux européennes qui verrait l’extrême droite placée comme force parlementaire pourrait conduire à d’importants blocages de lois, et cela pour 5 ans au minimum.  L’idéal d’une UE progressiste et cosmopolite partagée par beaucoup serait alors affaibli et pourrait être remplacé par un durcissement de la politique migratoire et un coup supplémentaire à la transition écologique qu’opère difficilement l’Europe.

Si de nombreux politiques se mobilisent tels que l’eurodéputé socialiste Raphaël Glucksmann qui déclarait sur France 2 « L’UE est en danger externe et interne », ou le président du groupe centriste du Parlement Stéphane Séjourné qui mettait en garde sur Politico : « Il y a un risque que l’Europe soit ingouvernable ». Cette crainte d’une percée aux élections provient également d’une forme de « succès de la stratégie de dédiabolisation et de respectabilisation menée par Marine Le Pen en France, par exemple » (Benjamin Biard, chercheur belge au CRISP). Cependant, certains comme le professeur Jean-Guy Prévost relativisent cette vision plutôt sombre en rappelant que grand nombre des mesures sont simplement irréalisables.

En effet, ce projet d’immigration conservateur mis en avant défendant une UE comme « outil pour juguler les crises migratoires » consiste en une fermeture quasi-totale des frontières. Renvoyant dans leur pays tous les migrants illégaux, des contrôles frontaliers stricts ne laisseraient passer qu’une élite “filtrée”. Néanmoins, l’aspect utopique d’une telle mesure est fréquemment soulevé. De surcroit, il prône une suppression de toutes les aides à destination des migrants, une forme de préférence européenne où l’argent de l’UE est réservé à ses citoyens. Cependant, cela peut s’avérer contre-productif car les économies faites au départ risqueraient de se transformer en dépenses d’urgence décuplées. C’est une mise en garde faite notamment par de nombreux professionnels du secteur médical, mais qui concerne également les secteurs de l’éducation et de la formation ou l’accès à des logements salubres.

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