La bataille juridique pour la définition du viol en Europe : retour sur l’enjeu principal de la directive sur les violences faites aux femmes

Par Émilie Decourcelle – 30/10/2023 – Cet article n’engage que son auteur : la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

La définition pénale du viol à l’échelle européenne est devenue l’élément central de la directive sur les violences faites aux femmes, présentée par le Parlement européen le 8 mars 2022. En septembre 2023, le Conseil de l’Union européenne a cherché à trancher cette question en votant une nouvelle version du texte ne la prévoyant tout simplement pas. Toutefois, cette position n’a pas fait consensus parmi les représentants des États membres, et les débats se poursuivent, puisque la directive a été renvoyée au Parlement. Une occasion de réexaminer les enjeux entourant la protection des citoyennes européennes et de leurs droits, mais également de la consolidation des compétences de l’Union européenne en matière juridique. 

La proposition de directive européenne pour la lutte contre les violences envers les femmes : des débats autour de la définition du viol.

Le 8 mars 2022, en l’honneur de la Journée internationale des droits des femmes, le Parlement européen a déposé une proposition de directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Déjà le fruit de longues négociations, elle a pour objectif d’harmoniser les infractions afin de combler les vides juridiques existants autour d’une réglementation européenne des violences faites aux femmes, notamment autour de leurs nouvelles formes en ligne (le partage non consenti d’images intimes, la traque furtive, le cyberharcèlement, l’incitation à la violence ou à la haine…). 

Si la plupart des députés s’accordent sur la nécessité de renforcer l’efficacité des instruments juridiques actuels de l’UE, un sujet provoque de multiples aller-retour institutionnels : la définition pénale du viol. Sur la base du défaut de consentement, ils s’opposent sur les facteurs qui permettent d’identifier celui-ci ou les conditions qui permettraient de le donner de manière libre et éclairée. Certains députés veulent se contenter de l’usage de la force quand d’autres cherchent à ajouter la peur et l’intimidation à la liste des conditions empêchant une prise de décision en toute liberté. 

Les enjeux de la définition du viol et du consentement dans la lutte contre les violences sexuelles en Europe.

En 2018, dans l’Union européenne pré-Brexit, 348 000 violences sexuelles ont été enregistrées par les forces de sécurité : un tiers sont des viols, et près de 9 victimes sur 10 sont des femmes. Cependant, en moyenne, 68 personnes pour 100 000 habitants ont déposé plainte après avoir subi de tels faits. À ce titre, la définition du viol, mais surtout du consentement, a une place prépondérante dans la prise en compte des violences sexuelles par les services de justice. 

Dans la plupart des pays européens, la définition légale du viol repose sur l’utilisation de coercition, de force, ou sur le fait que la victime était dans l’incapacité de se défendre. Cependant, il est important de noter que la plupart des viols ne correspondent pas nécessairement aux stéréotypes selon lesquels un agresseur inconnu surgit soudainement. En réalité, de nombreuses agressions sexuelles à l’encontre des femmes et des filles sont perpétrées par des amis, des membres de la famille ou des partenaires intimes. De plus, les réactions des victimes peuvent inclure un état de choc, une paralysie involontaire ou une pression morale et psychologique, ce qui ne signifie pas forcément qu’il y a eu une violence physique, ou un consentement manifeste, libre et éclairé. 

En voulant exclure la définition du viol, et donc du consentement, de la directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le Conseil de l’Union européenne en réduit largement sa portée et laisse demeurer les flous juridiques et institutionnels qui existent autour de ces situations dans la plupart des pays européens. 

La définition pénale du viol en Europe : entre sexisme, tradition et défis pour l’intégration européenne.

Si l’existence d’un sexisme tenace, et de définitions biaisées par de longues traditions patriarcales peuvent être tenue en partie responsables de la position de certains représentants étatiques, la définition pénale du viol à l’échelle européenne soulève également un des grands défis de la construction européenne : la mise en place de normes juridiques communes et la prépondérance du droit européen. Ceux qui plaident en faveur de l’élimination de l’article définissant estiment que le viol ne peut pas être classé sous la catégorie de « l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants »  telle qu’elle est mentionné dans le traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). Ce traité répertorie les domaines susceptibles d’être harmonisés en matière d’infractions pénales : en conséquence, le viol ne serait pas du ressort de l’UE. 

Les débats autour de la directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique s’inscrivent donc également dans ceux autour de l’intégration européenne. Pourtant, parce qu’il s’agit là de l’enjeu de la protection des femmes en Europe, des compromis devront être trouvés pour assurer la pleine reconnaissance et la complexité des situations d’abus et de violences sexuel.le.s à travers l’Union européenne.

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