La légalisation du cannabis en Allemagne : un nouveau tournant pour l’Europe ?

Par Diane de Charry – 11/08/2023 – Cet article n’engage que son auteur: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Dans une Union Européenne où la plupart des pays n’autorisent pas la possession du cannabis à des fins récréatives, l’Allemagne franchi, le 16 août dernier, un nouveau pas vers la légalisation de cette substance. Le gouvernement a adopté le projet de loi en Conseil des ministres, qui sera désormais débattu au Parlement afin de finaliser son adoption. Se présentant comme le pays visant l’une des législations les plus libérales d’Europe sur la question, ce projet de loi prévoit le contrôle de l’achat de cannabis et la culture de cette plante sous certaines règlementations.


Ce projet de loi remet sur la table un débat qui divise les États au sein de l’U.E. La question de la légalisation du cannabis relève de la capacité juridique de chaque État, la Commission Européenne ne peut exercer d’autorité directe concernant les prises de décisions des gouvernements nationaux. Cependant, le cannabis reste une drogue illicite pour son usage récréatif au sein de l’U.E. qui a signé de nombreux accords avec des partenaires internationaux visant à empêcher les activités commerciales liées aux drogues dans le cadre de sa stratégie 2021-2025. De plus, les États et la Commission sont tenus de surveiller les infractions conformément à la décision-cadre de 2004, relative à la lutte contre le trafic de drogue. Ainsi, la légalisation du cannabis d’un État membre peut porter atteinte à la législation européenne. La Commission Européenne peut faire obstacle à un tel projet lors de son examen.

Un projet complexe autour d’une question qui divise.

Le projet de loi allemand, élément phare du mandat du chancelier social-démocrate Olaf Scholz, présente des ambitions sur un certain changement législatif européen, après un premier rejet par la Commission européenne sur le texte initial. Ce projet de légalisation du cannabis permettrait aux personnes majeures d’en acheter dans les magasins agréés, de posséder jusqu’à 25 grammes de cannabis, ainsi que de cultiver un maximum de trois plantes. De plus, le projet de loi prévoit la création de « Cannabis Social Clubs », qui sont des associations à but non lucratif pour les personnes majeures, approvisionnant leurs membres (nombre de membres limités à 500 par association) d’un maximum de 25 grammes par jour et 50 grammes au total par mois pour chaque membre. Des restrictions à 30 grammes par mois s’appliquent pour les adultes de 18 à 21 ans. Ces derniers seront contrôlés par les pouvoirs publics dans l’objectif d’assurer la qualité de la substance consommée ainsi que la quantité distribuée. Ces règlementations finales qui ont été adoptées par le Conseil des ministres cherchent à s’inscrire dans le cadre de la législation européenne. Elles permettent au gouvernement allemand de faire pression sur Bruxelles afin d’assouplir ses juridictions sur la question. 

Malgré les changements apportés par Berlin au projet, une nouvelle étude de la Commission Européenne est réalisée. Celle-ci relève que la consommation récréative dans les clubs heurte des obstacles juridiques européens. Un plan de mise en œuvre sera donc proposé à Bruxelles après l’été, pour le lancement d’essais de modèles régionaux. Ceux-ci testeront la distribution commerciale de cannabis pendant cinq ans. 

La légalisation du cannabis étant une promesse centrale du gouvernement allemand actuel, l’élaboration et l’adoption de son projet de loi se retrouve très médiatisée et divise les opinions. Le ministre de la Santé, Karl Lauterbach, détenant une influence importante sur la question, réaffirme la dangerosité de cette substance dans sa campagne de sensibilisation des jeunes adultes. À travers la mise en place des clubs, le gouvernement espère également faire concurrence au marché noir, ayant alors augmenté ces dernières années dans le pays, dans l’objectif de réduire son influence sur la consommation de cannabis.

L’opposition à cette législation, quant à elle, avance que la légalisation aura un effet de déplacement du marché noir, vers une amplification du trafic d’autres drogues, notamment des drogues dures. Selon K. Lütke, porte-parole des libéraux du FDP en matière de drogue, si les plafonds sont trop stricts pour les consommateurs, ces derniers continueront de se tourner vers la vente illégale, rendant les objectifs du projet moins efficaces. La question sanitaire se trouve au cœur du projet. La consommation du cannabis ayant un effet très nocif sur la santé de ses consommateurs, celle-ci affecte la mémoire à court terme. Elle peut par ailleurs être le facteur déclencheur de maladies psychiatriques, notamment la schizophrénie.

Le positionnement Européen face à la libéralisation du cannabis.

L’Allemagne n’est pas le premier État de l’Union Européenne à légaliser le cannabis sur son territoire. Elle emboîte le pas à Malte en 2021 et au Luxembourg en 2023, posant la question de la libéralisation de cette substance à usage récréatif dans l’Union Européenne au cœur de cet enjeu. Certains États membres ont une politique relativement laxiste dépénalisant sa possession, notamment en Espagne et au Portugal, où la consommation privée n’est pas interdite, ou encore aux Pays-Bas, où celle-ci est tolérée. Les peines diffèrent d’un pays à l’autre, bien que la plupart des pays Européens considèrent la possession comme une infraction dont la peine maximale est l’incarcération, une grande partie des États ont réduit les peines à de simples amendes, dépendamment de la quantité possédée. La France a par exemple allégé les peines encourues en 2020 : en dessous d’une possession de 100 grammes, une amende de 200 euros sera attribuée, n’engendrant pas forcément de poursuites judiciaires. De même pour la Belgique, l’Irlande, l’Autriche, la Lettonie, la République Tchèque, la Bulgarie ou encore la Slovénie, la possession à usage personnel fera l’objet d’une amende. La consommation de cette substance est de plus en plus tolérée au sein de l’Union Européenne. 

Il n’existe pas suffisamment de précédents juridiques dans l’U.E. concernant la légalisation du cannabis afin de déterminer clairement si un État porte entrave aux législations européennes. Lesoi préoccupations principales de la Commission sont axées sur les questions du commerce transfrontalier de produits liés au cannabis, pouvant porter atteinte à la sécurité du marché unique. Elles sont aussi fondées sur les stratégies de prévention de la consommation de drogues, y compris le cannabis à usage récréatif, pour réduire les dommages sanitaires causés par celle-ci.

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