Revue de presse #4

Par Ludivine Besquent – 03/03/2022 – Cet article n’engage que son autrice: la SCUE laisse la liberté à son équipe de publier des revues de presse sans censure.

Pourrait-on s’attendre, à la faveur du conflit en Ukraine, que les États membres de l’Union européenne relancent le débat sur la nécessité d’une défense commune européenne ?

Depuis la publication de notre revue de presse précédente, la crise en Ukraine s’est transformée en conflit armé à la suite de l’invasion du pays par l’armée russe le 24 février dernier. Ainsi, à peine trois jours après la reconnaissance par la Russie de l’indépendance des Républiques de Donetsk et Louhansk à l’est du pays et l’entrée des troupes russes sur ces territoires séparatistes en guerre avec l’Ukraine depuis 2014, Vladimir Poutine a étendu l’agression militaire à l’ensemble du territoire ukrainien.

Ainsi, la capitale de l’Ukraine, Kyiv[1], est massivement bombardée par l’armée russe et des affrontements militaires ont lieu à l’aéroport international Antonov, dans sa proche banlieue. En effet, la majorité des troupes russes ont pénétré en Ukraine, non pas à l’est dans les oblasts séparatistes, mais au nord, via le Belarus[2]. Au sud du pays également, les troupes russes ont également débordé de la péninsule de Crimée pour s’étendre jusqu’aux villes de Kherson à l’ouest et Marioupol à l’est. Pis, des bombardements ont même été répertoriés à Lviv, Ivano-Frankivsk et Loutsk, trois grandes villes à l’extrême-ouest du pays, proche des frontières avec la Pologne et la Roumanie, tous deux États membres de l’Union européenne et de l’OTAN.

Il est ainsi de plus en plus clair que ce qui paraissait insensé il y a de cela une semaine, est devenu une réalité : l’objectif du Kremlin n’est pas simplement de se cantonner aux territoires séparatistes de l’est du pays, mais de contrôler l’ensemble de l’Ukraine en renversant le gouvernement démocratiquement élu de Volodymyr Zelensky et en y instaurant un nouveau, à la solde de Moscou. Vladimir Poutine l’a dit lui-même, de façon détournée, lors d’une allocution télévisée le 25 février destinée aux Ukrainiens : « Prenez le pouvoir entre vos mains. Il me semble qu’il sera plus facile de négocier entre vous et moi », qualifiant le gouvernement ukrainien de « junte » ou de « clique de toxicomanes et de néonazis, qui s’est installée à Kiev et a pris en otage tout le peuple ukrainien ». Un haut responsable du Pentagone aurait également confié à l’Agence France-Presse (AFP) : « Nous estimons que, fondamentalement, ils ont l’intention de décapiter le gouvernement et installer leur propre méthode de gouvernance, ce qui expliquerait cette avancée initiale vers Kiev ».

Source : https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-la-carte-des-bombardements-russes-20220224_BULDIVVKBVGS5CBDLTMWWSVPO4/

Plutôt que de nous pencher sur la faisabilité d’un tel objectif pour la Russie, de la potentielle issue du conflit ou des racines historiques de ce dernier, l’intérêt ici est d’aborder la réaction de l’Union européenne à cet évènement majeur qui pourrait menacer aussi bien la stabilité que la paix dans cette région qui n’a pas connu de conflit interétatique formel depuis 1945.

Après une première série de sanctions juste après la signature de l’acte de reconnaissance des républiques séparatistes par Vladimir Poutine, l’Union européenne a passé un nouveau cap, que l’on peut qualifier d’historique, depuis l’extension du conflit à l’ensemble du pays le 24 février. Ce soir-là, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union se sont réunis pour un Conseil européen extraordinaire s’accordant sur les mesures de rétorsion les plus sévères que l’Union européenne n’ait jamais mis en œuvre : sanctions financières réduisant l’accès aux marchés de capitaux européens dans l’objectif d’affecter le marché bancaire russe et les principales entreprises publiques, interdiction d’exportation de nombreux biens russes (notamment le pétrole) ou encore gel des avoirs de Vladimir Poutine et de ses proches, à l’instar de son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.

Trois jours plus tard, le dimanche 27 février, l’Union européenne décide de rompre avec sa doctrine diplomatique pour la première fois de son histoire en décidant de financer l’envoi de matériel militaire à destination de l’Ukraine via la Facilité européenne pour la paix (FEP). La FEP est un instrument extrabudgétaire qui a pour objectifs d’améliorer la capacité de l’Union à prévenir les conflits, à consolider la paix et à renforcer la sécurité internationale, en permettant le financement d’actions opérationnelles relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense. Ainsi, 450 millions d’euros d’armement seront financés mais également 50 millions d’euros d’équipements de protection et de carburant.

Cette décision historique s’accompagne de sanctions financières renforcées à l’égard de la Russie, notamment la déconnexion de plusieurs banques russes du système bancaire SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Une action qui entravera fortement les banques russes dans leurs activités de transaction et d’échange de capitaux sur les marchés internationaux. L’ensemble des banques russes ne sont cependant pas visées par cette déconnexion, en particulier celles liées au commerce ou au gaz naturel, une énergie fossile pour laquelle l’Union européenne est dépendante de la Russie à hauteur de 41% de ses importations. Toujours sur le plan bancaire, l’Union européenne a également décidé de geler les avoirs de la Banque centrale russe détenus en dehors du pays.

Toujours dans le sillage du paquet de sanctions décidé 27 février, l’Union européenne a fait le choix de fermer son espace aérien à l’aviation russe et d’interdire la diffusion dans ses États membres des médias affiliés au Kremlin tels que Russia Today et Sputnik News, des organisations à l’origine d’une désinformation massive en Europe depuis de nombreuses années. L’Union ne s’est pas simplement contentée de sanctionner la Russie, mais également le Belarus, État allié de Moscou qui a facilité l’invasion de l’Ukraine en autorisant le transit des troupes russes sur son territoire. Ainsi, les secteurs économiques clés du pays sont désormais interdits d’exportation vers l’Union européenne (tabac, ciment, fer, acier ou encore hydrocarbures).

Finalement, ces actions de rétorsion sans précédent de la part de l’Union européenne ont également cheminées au sein de plusieurs de ses États membres qui, jusqu’ici, tranchaient par leur neutralité historique. C’est le cas de l’Allemagne, pacifiste depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et de la Suède, non membre de l’OTAN, qui ont annoncé envoyer des armes en Ukraine. D’aucuns pensent que cette agression militaire russe en Ukraine pourrait réanimer l’OTAN mais aussi relancer le projet de défense commune européenne, enterré en 1954.

Sources :

Franceinfo. 2022. « Guerre en Ukraine : livraisons d’armes, budget militaire, sanctions… Comment l’Union européenne a pris un virage historique », 1 mars 2022. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-livraisons-d-armes-budget-militaire-sanctions-l-union-europeenne-prend-elle-un-tournant-historique_4986078.html.

Guillot, Julien, et Alice Clair. 2022. « Guerre en Ukraine: la carte de l’évolution des bombardements et de l’avancée russe ». Libération, 2 mars 2022. https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-la-carte-des-bombardements-russes-20220224_BULDIVVKBVGS5CBDLTMWWSVPO4/.

Le Parisien. 2022. « Ukraine : Poutine appelle les soldats adverses à se rebeller et traite leurs dirigeants de « néonazis toxicomanes » – Le Parisien », 25 février 2022. https://www.leparisien.fr/international/ukraine-poutine-appelle-les-soldats-adverses-a-se-rebeller-et-traite-leurs-dirigeants-de-neonazis-toxicomanes-25-02-2022-ZK2ZZMZMZZHLHA4GTHGDJU7JQQ.php.

L’Express. 2022. « Ukraine : rester au pouvoir ou voir son gouvernement “décapité”, quel sort pour Zelensky ? », 25 février 2022. https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/ukraine-rester-au-pouvoir-ou-voir-son-gouvernement-decapite-quel-sort-pour-zelensky_2168746.html.

Ouest-France. 2022. « Les Européens s’accordent pour sanctionner Poutine et Lavrov par le gel de leurs avoirs », 25 février 2022, sect. Guerre en Ukraine. https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/les-europeens-s-accordent-pour-sanctionner-poutine-et-lavrov-par-le-gel-de-leurs-avoirs-d0bf484c-9647-11ec-8a8c-4c622ba3ed85.

Toute l’Europe. 2022. « Guerre en Ukraine : chronologie des événements », 2 mars 2022. https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/guerre-en-ukraine-chronologie-des-evenements/.


[1] Le toponyme « Kyiv » est privilégié car c’est ainsi que les Ukrainiens nomment leur capitale. « Kiev » est le nom donné à la capitale ukrainienne par les Russes et que les Ukrainiens rejettent.

[2] Le toponyme « Belarus » a été privilégié car c’est ainsi que les nationalistes et opposants au régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko nomment leur pays. Les Nations unies utilisent par ailleurs l’appellation « Belarus ». L’appellation « Biélorussie » est une référence directe à la Russie et à l’époque soviétique puisque c’est en 1919, soit un an après que la République du Belarus soit proclamée, que l’URSS reprend le contrôle du pays et lui impose le nom de « Biélorussie ».